Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe - 93

HUBERT ALCARAz

et des régions5 », des relations de leurs habitants avec les administrations,
du système éducatif et, plus généralement, de toutes les activités sociales,
surtout durant la période franquiste qui organisa jusqu'à son paroxysme
une véritable politique de persécution. En 1978, la reconnaissance de toutes
les langues est, par conséquent, un préalable, un élément incontournable,
une donnée indispensable qui doit être consacrée par la Constitution6.
C'est chose faite avec la création de la co-officialité, c'est-à-dire la coexistence, juridiquement consacrée et protégée, de deux langues officielles au
sein d'une même Communauté autonome, l'État espagnol étant, ainsi,
plurilingue : le castillan est langue officielle sur tout le territoire espagnol,
autrement dit au sein de toutes les Communautés autonomes, tandis que,
par ailleurs, chaque Communauté autonome a la possibilité de reconnaître
à la langue régionale de son choix le statut de seconde langue officielle sur
son territoire, ou langue co-officielle.
La simplicité, avant tout la clarté peut-être, s'arrête là puisque sur bien
d'autres points la Constitution reste muette. Sans entrer dans les détails à
ce stade, relevons, d'abord, une évidence : en dehors du castillan, aucune
langue n'est précisément identifiée par son article 3. Pour le dire autrement, les langues régionales espagnoles ne sont pas énumérées et le texte
constitutionnel serait bien en peine d'en établir la liste puisque c'est chaque
Communauté autonome, à l'occasion de sa création, qui choisira, ou pas,
de consacrer l'existence d'une langue propre dotée de la qualité de langue
co-officielle. Surgit alors une seconde remarque, plus essentielle : l'article 3
fonde-t-il à lui seul un statut et un régime juridiques ? La réponse ici aussi
est complexe et appelle la nuance. Quant au statut, comme la majorité de la
doctrine espagnole, il est possible de le voir s'incarner dans la co-officialité.
Cette co-officialité linguistique n'est rien d'autre que l'expression juridique du bilinguisme qui caractérise la scène sociale, sorte de fédéralisme
linguistique qui, sur chaque partie du territoire national, peut consacrer une
seconde langue officielle distincte, à côté du castillan. À partir de là, toute
prétention à une sorte de monolinguisme territorial n'aurait aucun sens et
constituerait une difficulté - doux euphémisme - au regard des principes
constitutionnels sur lesquels se fonde la démocratie espagnole.
5. Art. 2 de la Constitution : « La Constitution a pour fondement l'unité indissoluble de
la Nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols. Elle reconnaît
et garantit le droit à l'autonomie des nationalités et des régions qui la composent et la
solidarité entre elles. »
6. Si, lors de la rédaction de ce qui deviendra l'article 3 de la Constitution, des modifications interviennent, c'est uniquement à propos du terme qu'il convient de retenir pour
désigner la langue officielle de l'État : l'espagnol ou le castillan ? Le principe de la coofficialité, lui, n'est pas discuté : L. Sánchez Agesta et J. Prieto de Pedro, « Artículo 3.
Las lenguas de España », in O. Alzaga Villaamil (dir.), Comentarios a la Constitución
española, Madrid, Cortes Generales Editoriales de derecho reunidas, 1996, T. I, p. 252 et s.

Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe

Table des matières de la publication Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe