Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe - 97

HUBERT ALCARAz

le troisième et dernier alinéa, enfin, consacrant le respect et la protection
particuliers qui doivent être réservés, par les pouvoirs publics, à la diversité linguistique. La co-oficialité linguistique apparaît comme l'expression
juridique du bilinguisme social et l'article 3 se range donc sous l'étendard
d'une Espagne à la réalité linguistique plurielle, sur le territoire de laquelle
existent « diverses modalités linguistiques »12.
Mesurons bien que la révolution est alors proprement « copernicienne »13. Prenons-en pour preuve les termes choisis de l'article 3 : le
vocable « richesse », comme l'expression « patrimoine culturel », le mettent
clairement en évidence. Et même si le constat relève de l'évidence, en 1978
c'est remarquable. Mais, plus encore, cela démontre que le nouveau régime
politique accepte cette réalité linguistique comme un héritage historique
qu'il convient de respecter, et qu'il accepte cette diversité, cette réalité
plurielle, en tant que valeur culturelle que la Constitution s'engage à faire
prospérer et à maintenir vivante. En la matière, la liberté et le respect,
au fondement de ces dispositions, sont élevés au rang de principes directeurs de l'encadrement normatif de l'usage et de la protection des langues.
D'ailleurs, c'est un respect spécial ou particulier et une protection tout
aussi spéciale que la Constitution exige sur ce terrain. Comme le Tribunal
constitutionnel a pu le souligner, ce « régime de co-oficialité linguistique
(...) présuppose non seulement la coexistence mais aussi la cohabitation
de deux langues officielles » dans les Communautés autonomes. Il y a là
un élément propre au patrimoine culturel auquel l'article 3 fait référence14.
Concrètement, le castillan est déclaré officiel dans toute l'Espagne,
c'est-à-dire sur l'ensemble de son territoire, tandis que les autres langues
espagnoles peuvent se voir également reconnaître ce caractère, mais
exclusivement sur le territoire des Communautés autonomes, chaque
Communauté pouvant ainsi voir coexister le castillan et la langue régionale qu'elle a entendu consacrer dans son statut d'autonomie. La formule
retenue par la Constitution espagnole est particulièrement originale et
s'apparente à une solution sui generis, sorte de laboratoire constitutionnel
linguistique par le biais de cette « co-officialité » ou « double officialité ».
Le bilinguisme social effectif doit trouver une traduction juridique à
travers ce bilinguisme officiel. Mais l'innovation ne s'arrête pas là puisque
la Constitution ne fait qu'entamer la construction de ce statut, laissant le
soin à chaque Communauté autonome, si celle-ci le souhaite, de consacrer
le caractère officiel d'une seconde langue sur son territoire. En d'autres
12. Art. 3, al. 3, in fine.
13. E. Cobreros Mendazona, El régimen jurídico de la oficialidad del euskera, Oñati,
Instituto Vasco de Administración pública, 1989, p. 22.
14. STC 337/1994 du 23 décembre.

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