Hors collection - Sources et ressources de l’interprétation juridique - 119

L'INTENTION
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certains membres éminents de l'École de l'Exégèse, dont on connaît l'extrême
attachement au respect de la lettre des textes, ont pu considérer que l'interprétation
téléologique, évidemment légitime en présence d'un texte obscur, peut
conduire à écarter la loi claire lorsque sa lettre ne reflète pas la volonté réelle du
législateur. Ainsi Laurent écrivait-il : « il se peut que la lettre, quoique claire,
n'exprime pas la vraie pensée du législateur. Si cela est prouvé, certes l'esprit
devra être préféré au texte » (87).
138. L'opposition entre ces approches invite à la recherche de compromis.
On perçoit bien, par exemple, que le débat sur la légitimité de l'interprétation
téléologique ne se présente pas de la même manière selon qu'il s'agit d'écarter
le sens clair de la loi au nom de l'objectif poursuivi par le législateur, ou qu'il est
seulement question d'interpréter le texte obscur lorsque les objectifs du législateur
sont connaissables. On pressent donc que pour apprécier la légitimité de
cette méthode, tout dépend des circonstances.
139. Les conflits doctrinaux en matière d'interprétation téléologique peuvent
également être mieux compris si l'on saisit d'emblée qu'il n'existe pas une seule
méthode d'interprétation téléologique, mais plusieurs (88).
La première méthode consiste à s'intéresser à l'économie du texte interprété,
telle qu'elle ressort directement de sa lettre, pour en restituer l'objectif (89).
La seconde méthode se détache de la lettre du texte pour identifier l'objectif
poursuivi au moyen des travaux préparatoires. Elle illustre la parenté entre l'interprétation
téléologique et l'interprétation historique, étant toutefois précisé qu'ici,
l'interprétation téléologique permet d'identifier un objectif général de la loi alors
que l'interprétation historique permet aussi de repérer l'origine spécifique de telle
ou telle formulation d'un article de loi.
La troisième méthode ne procède, ni du texte, ni de l'examen circonstancié
des travaux parlementaires. Elle repose sur une analyse économique ou politique
dont il est vraisemblable qu'elle a été menée par les auteurs du texte, mais sans
que cela puisse nécessairement être démontré. Elle recherche les effets lointains
du texte, par opposition aux effets immédiats produits par l'application de la
règle. Cette forme d'interprétation téléologique est beaucoup plus spéculative.
87. Principes élémentaires de droit civil,t. 1er
, Paris-Bruxelles, 1869, sect. 273, pp. 346-47. Pour une
éd.,
description de la théorie sous-jacente à ce courant de l'Exégèse qui inclut aussi Aubry et Rau ainsi que Baudry-Lacantinerie,
v. B. Frydman, Le sens des lois. Histoire de l'interprétation et de la raison juridique,3e
Bruylant, 2011, nº 185 et s. Selon B. Frydman, « la doctrine de l'Exégèse, et plus généralement le modèle philologique,
impliquent donc une relativisation certaine de la doctrine de l'acte clair, telle qu'on l'enseigne généralement
: le sens littéral s'impose certes contre l'équité, mais il doit céder devant l'intention de l'auteur, lorsqu'il
y contredit. Dès lors, il convient toujours de s'assurer de cette intention, notamment par l'examen des
travaux préparatoires » (ibid., nº 186, p. 398).
88. Sur les différentes définitions de la notion d'objectif, v. par ex. A. Barak, Purposive Interpretation in
Law, Princeton University Press, 2005, p. 88 et s.
89. Ainsi peut-on dire, en présence de l'article 209 B du CGI qui vise à imposer en France les bénéfices de
certaines filiales étrangères détenues à plus de 50% par une société mère française, que le but du texte est de
neutraliser certaines structures mises en place par des groupes internationaux. Cet objectif est identifiable à
raison du choix par le législateur d'un seuil de 50 % de détention.

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