Hors collection - Sources et ressources de l’interprétation juridique - 170

170 SOURCES ET RESSOURCES DE L'INTERPRÉTATION JURIDIQUE
finalité des textes) dans le cadre de la théorie interne de l'abus de droit, de l'article
31 de la Convention de Vienne et de l'article 29 § 9 du modèle OCDE, la
place de l'interprétation téléologique et sa relation avec l'interprétation littérale
n'est pas exactement la même dans le cadre de ces trois textes.
Il nous reste à examiner la place de l'interprétation téléologique dans le droit
de l'Union européenne.
§3. - Interprétation téléologique du droit de l'Union européenne
213. Le droit de l'Union européenne est sans doute celui qui fait le plus de
place à l'interprétation téléologique. Cela s'explique par plusieurs facteurs.
Le premier tient au fait que le droit de l'Union est un droit rédigé en plusieurs
langues qui ont toutes le statut de langue officielle. Or, comme nous l'avons déjà
vu (267), le multilinguisme génère forcément des conflits d'interprétation qui
naissent de la confrontation entre les différentes versions linguistiques du même
texte. Aussi, l'analyse littérale ne peut pas fournir un résultat aussi sûr que celui
que livre l'analyse d'un texte écrit dans une seule langue, ce qui rend nécessaire
un recours à l'analyse des objectifs poursuivis par le texte (268).
214. Le second tient à la spécificité de l'ordre juridique européen. Comme
l'expliquait le doyen Boulouis, « on ne saurait oublier que cette méthode est la
résultante inévitable de la double fonction incombant à la Cour en tant que celleci
n'est pas seulement chargée d'assurer le respect du droit dans l'interprétation
du droit communautaire mais aussi de contribuer, en sa qualité d'institution, à la
réalisation des tâches confiées à la Communauté » (269).
C'est donc avec régularité que la CJUE rappelle « la jurisprudence constante
(...) selon laquelle il y a lieu, pour l'interprétation d'une disposition de droit communautaire,
de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également
de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle
fait partie » (270).
Il est important de bien saisir que l'interprétation téléologique, en droit de
l'Union, ne se limite pas à la recherche du but spécifiquement poursuivi par
telle ou telle norme isolée. Comme l'expliquait un ancien avocat général à la
cour de justice, la Cour « ne se préoccupe pas seulement de déterminer l'objectif
267. V. supra, nº 87.
268. Comme l'écrivent à juste titre plusieurs auteurs anglais (dans un ouvrage publié avant le Brexit), « literal
interpretation, with its emphasis on the ordinary meaning ofwords, is oflimited importance in a system with
multiple official languages. Words may have been chosen in a precise way, but linguistic nuances in one language
may not translate into another » (R. Cross, Statutory Interpretation,3rd
ed. by J. Bell and G. Engle,
LexisNexis, 2005, p. 109).
269. J. Boulouis, vº Méthodes d'interprétation, Rép. eur. Dalloz, 1992, § 36.
270. CJUE, 3 déc. 2009, C-433/08, Yaesu Europe, point 24 et jurisprudence citée. Voir déjà l'affirmation par
le vénérable arrêt Van Gend & Loos du 5 février 1963 (aff. 26/62), qu'une disposition doit être interprétée à la
lumière de son esprit, de son économie et de ses termes, et l'arrêt CILFIT du 6 octobre 1982 (aff. 283/81) qui
énonce que « chaque disposition de droit communautaire doit être replacée dans son contexte et interprétée à la
lumière de l'ensemble des dispositions de ce droit, de ses finalités et de l'état de son évolution à la date à
laquelle l'application de la disposition en cause doit être faite » (point 20).

Hors collection - Sources et ressources de l’interprétation juridique

Table des matières de la publication Hors collection - Sources et ressources de l’interprétation juridique