Hors collection - Sources et ressources de l’interprétation juridique - 214

214 SOURCES ET RESSOURCES DE L'INTERPRÉTATION JURIDIQUE
Dans la décision de 2014 (106), le Conseil d'État s'appuie sur cette maxime
pour conforter ce qu'enseigne la lecture littérale de la loi, à savoir que l'une des
conditions prévues pour le bénéfice de l'abattement pour durée de détention institué
par ce texte consiste pour le cédant à avoir exercé individuellement des
fonctions de direction pendant cinq années avant de faire valoir ses droits à la
retraite. Le recours à la maxime d'interprétation stricte des exceptions converge
ici avec le constat selon lequel on ne peut étendre à l'appréciation de cette condition
d'exercice des fonctions la méthode « collective » que le législateur a adoptée
pour d'autres conditions, et qui consiste à apprécier le seuil de détention en
faisant masse des participations détenues par le cédant et par son groupe familial.
Bref, et comme l'indiquent les conclusions de Mme Cortot-Boucher, le Conseil
d'État ne peut « que prendre au pied de la lettre les conditions qui encadrent l'octroi
d'un avantage, les dérogations au droit commun étant toujours d'interprétation
stricte »... ce qui suggère qu'au fond, le principe d'interprétation stricte
n'est rien d'autre qu'une sorte de garde-fou contre toute tentative de recours à
une méthode trop audacieuse (analogique ou téléologique par exemple) d'interprétation
de la norme.
Dans l'affaire ayant donné lieu à la décision de 2015 (107), la question posée
était de savoir ce que le législateur avait voulu dire lorsqu'il avait subordonné
l'abattement pour durée de détention prévu par l'article 150-0 D ter à la condition
que le cédant ait exercé son activité de direction dans l'entreprise cédée « pendant
les cinq années précédant la cession ». Les requérants estimaient que cette
expression n'exigeait pas que l'exercice de telles fonctions se déroule pendant
une période de soixante mois consécutifs, mais seulement qu'elle s'exerce de
façon répartie sur cinq années différentes (soit, potentiellement, pendant moins
longtemps que cinq années continues). Les conclusions du rapporteur public
font état de sa conviction que le texte est clair et que les travaux préparatoires
corroborent tout aussi clairement l'interprétation selon laquelle la durée litigieuse
s'entend d'une durée continue sur cinq années entières. C'est donc à titre presque
superfétatoire que le principe d'interprétation stricte des dispositions dérogatoires
vient s'appliquer, une fois encore pour prévenir toute tentative d'interprétation
audacieuse du texte.
283. On aurait tort de conclure de l'analyse des deux décisions précitées que
le principe d'interprétation stricte joue de façon systématique, ou du moins qu'il
suffise systématiquement à justifier la lecture la plus défavorable au contribuable.
À cet égard, une troisième décision du Conseil d'État relative à l'interprétation de
l'article 150-0 D ter du CGI, datée du 16 octobre 2019, est intéressante (108). Il
s'agissait, dans cette affaire, de déterminer si ce texte imposait au dirigeant désireux
de profiter de l'abattement une chronologie particulière quant à la cessation
de ses fonctions, son départ à la retraite et la cession de ses titres. Sans rentrer
106. CE, 3e-8e ss-sect. réunies, 10 déc. 2014, nº 371437, Chavanel, préc.
107. CE, 8e-3e ss-sect. réunies, 27 mai 2015, nº 368056, préc.
108. CE, 10e-9e ch. réunies, 16 oct. 2019, nº 417364, Dr.fisc. 2019, nº 49, comm. 470, concl. A. Iljic, note
R. Vabres.

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