Hors collection - Sources et ressources de l’interprétation juridique - 246

246 SOURCES ET RESSOURCES DE L'INTERPRÉTATION JURIDIQUE
fiscale distincte. Le Conseil d'État a ainsi considéré que l'invocation par analogie
d'une décision du Conseil constitutionnel dans un contentieux concernant une
autre norme fiscale que celle ayant donné lieu à ladite décision doit être regardée
comme une contestation de la constitutionnalité de la norme en cause, contestation
qui doit emprunter la voie contentieuse de la question prioritaire de
constitutionnalité (28).
Toutefois, par exception, le Conseil constitutionnel estime que « si l'autorité
attachée à une décision du Conseil constitutionnel ne peut en principe être utilement
invoquée à l'encontre d'une autre loi, il n'en va pas ainsi lorsque les dispositions
de cette loi ont un objet analogue à celui des dispositions législatives sur
lesquelles le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé » (29).
Cette exception a un champ très réduit. Comme l'observait la rapporteure
publique Émilie Bokdam-Tognetti dans ses conclusions sous la décision du
Conseil d'État du 25 mars 2021 (30), la jurisprudence du Conseil constitutionnel
révèle une approche étroite de la notion d'objet analogue. Surtout, la rapporteure
publique explique bien que si le juge administratif est « pleinement dans son
rôle » lorsqu'il cherche l'interprétation assurant la meilleure conciliation possible
avec les principes supérieurs, il ne l'est que pour autant que la lettre de la loi
laisse place à l'hésitation ou à l'ambiguïté. Autrement dit, si le juge administratif
peut réellement interpréter la loi à la lumière des principes constitutionnels - ainsi
que nous le reverrons d'ailleurs plus loin (31) - il ne peut pas étendre les réserves
d'interprétation du Conseil constitutionnel à des dispositions distinctes « lorsque
sous couvert d'interprétation, ce n'est pas à une explicitation de la volonté du
législateur ou à la simple précision d'une loi ambiguë qu'il s'agit de se livrer,
mais à une lecture contra legem et à une invalidation qui ne dit pas son nom ».
En effet, ajoute la rapporteure publique, « seul le Conseil constitutionnel nous
paraît pouvoir émettre de telles réserves neutralisantes, contra legem ou à la
limite extrême du praeter legem, lesquelles ne sont que des substituts à une
déclaration d'inconstitutionnalité. Lui seul est compétent pour juger qu'une disposition
législative est effectivement affectée d'un vice au regard des droits et
libertés garantis par la Constitution, apprécier si ce vice doit emporter l'abrogation
de la loi ou s'il peut et doit être effacé par le biais d'une réserve d'interprétation
».
332. Ces explications nous paraissent précieuses pour bien délimiter l'office
du juge ordinaire lorsqu'il s'agit de mettre en œuvre les réserves d'interprétation
du Conseil constitutionnel. Elles contiennent en outre un enseignement pratique
essentiel pour les contribuables qui croient pouvoir étendre par analogie le champ
28. CE, 9e-10e ss-sect. réunies, 25 mars 2021, nº 432515, Dr.fisc. 2021, nº 27, comm. 307, concl.
É. Bokdam-Tognetti. V. déjà CE, 9e
-10e ss-sect. réunies, 9 mai 2017, nº 407999, Herzi, Dr.fisc. 2017, nº 24,
comm. 350, concl. M.-A. Nicolazo de Barmon.
29. Cons. const., 24 févr. 2017, nº 2016-612 QPC, SCI Hyéroise. Cette décision en matière fiscale se situe
dans la continuité de précédentes décisions dont l'historique est rappelé dans le commentaire de la décision sur
le site du Conseil constitutionnel.
30. Ibid.
31. V. infra, nº 334 et s.

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