Hors collection - Sources et ressources de l’interprétation juridique - 258

258 SOURCES ET RESSOURCES DE L'INTERPRÉTATION JURIDIQUE
implicite, tire les conséquences méthodologiques de la jurisprudence de la Cour
de justice dont le dernier état est d'ailleurs expressément cité par le commissaire
du gouvernement dans ses conclusions. Ainsi, pour appliquer les dispositions du
Code général des impôts en vertu desquelles les personnes morales de droit
public sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour les « opérations des
économats et établissements similaires », le Conseil d'État constate que ces dispositions
ont été prises pour la transposition de la directive du 17 mai 1977 dont
les dispositions prévoient que les organismes de droit public ont la qualité d'assujettis
pour « les opérations des cantines d'entreprises, économats, coopératives
et établissements similaires ». Il interprète en conséquence les mots « économats
et établissements similaires » comme incluant les « cantines et établissements
similaires ». Il en déduit que les cercles et foyers dans les armées sont en principe
assujettis à la TVA (72). La Cour de cassation applique également la méthode de
l'interprétation conforme (73).
353. Il est également intéressant de constater que l'interprétation conforme
peut avoir lieu, non seulement en vue d'acclimater certains concepts utilisés par
les directives, mais aussi pour tirer les conséquences de principes fondamentaux
des directives. On songe naturellement à la place du principe de neutralité de la
TVA qui irrigue l'ensemble de la jurisprudence française, laquelle reflète à cet
égard la jurisprudence européenne. On songe aussi au principe de neutralité des
fusions dont le Conseil d'État a fait un principe opératoire pour l'interprétation de
dispositions fiscales n'ayant pas trait au régime des fusions. Il ressort ainsi de la
jurisprudence (74) qu'en transposant la directive fusions du 23juillet 1990, le
législateur a entendu assurer la neutralité au plan fiscal des opérations de fusion
des sociétés et, à cette fin, sauf lorsqu'il en a disposé autrement, regarder de telles
opérations comme des opérations intercalaires. L'utilité du principe de neutralité
des fusions est donc d'éclairer le sens de dispositions fiscales étrangères au
régime des fusions, en les combinant avec ledit principe de neutralité. On relève
à cet égard que dans les trois affaires que l'on vient de citer, les règles faisant
l'objet du litige n'étaient pas l'article 210 A lui-même. Il s'agissait toujours
d'interpréter d'autres règles en combinaison avec le régime des fusions : l'article
39 duodecies du CGI sur le régime des plus-values à long terme (décision
Heineken), l'article 209 quater du CGI sur la réserve spéciale des plus-values à
72. Sur cette décision, v. aussi infra, nº 367. Pour un autre exemple d'interprétation conforme à la lumière de
la directive TVA, v. CE, 9 sept. 2020, nº 439143, SCI EMO, Dr.fisc. 2020, nº 41, comm. 400, concl. R. Victor,
note F. Alparsian, A. Herbelot et L. Laurent-Sorel. On constate pourtant que dans une autre affaire, le Conseil
d'État a cru pouvoir faire une interprétation littérale d'un texte du CGI (l'article 257 bis du CGI sur le traitement
des cessions d'universalités) alors qu'une interprétation conforme aurait sans doute conduit à un résultat opposé
(CE, 31 mai 2022, nº 451379, SA Anciens Ets Georges Schiever & Fils).
73. Voir les nombreux exemples livrés par l'étude annuelle 2018 précitée sur le rôle normatif de la Cour de
cassation, p. 294 et s. Nous n'avons pas identifié d'affaire fiscale où ce mode de raisonnement a été adopté mais
notre recherche est peut-être lacunaire, et surtout il n'est pas exclu qu'elle puisse l'être puisque certaines directives,
à commencer par la directive 2008/7 du 12 février 2008 concernant les impôts indirects frappant les rassemblements
de capitaux, concernent des impôts dont le contentieux relève de la Cour de cassation.
74. CE, 9e
-10e ss-sect. réunies, 23 nov. 2001, SA Roy Frères et Anselmo, nº 205001 ; CE, 8e
-3e ss-sect. réunies,
11 févr. 2013, nº 356519, min. c/Sté Heineken France ; CE, plén., 4juill. 2014, nº 357264 et 359924, Sté
Bolloré, RJF10/14, nº 880 ; BDCF10/14, concl. M.-A. Nicolazo de Barmon.

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