Hors collection - Sources et ressources de l’interprétation juridique - 294

294 SOURCES ET RESSOURCES DE L'INTERPRÉTATION JURIDIQUE
Bretonneau sous la décision Croë Suisse (40), d'une « création largement prétorienne
», même si elle trouve un « terreau légal » dans l'interprétation de certaines
dispositions spécifiques (41).
L'intérêt de la théorie de l'acte anormal de gestion est de permettre au juge de
parvenir à un résultat qui ne figure explicitement dans aucun texte spécifique. Par
exemple, lorsque le juge applique la théorie de l'acte anormal de gestion en présence
d'un gain auquel une entreprise a indûment renoncé, il lui est impossible de
se fonder littéralement sur l'article 39 qui ne vise que le régime des charges. L'article
38 sur la définition du bénéfice ne permet pas davantage, pris à la lettre,
d'imposer des gains non réalisés. Le Conseil d'État contourne l'obstacle en justifiant
l'imposition de ces gains par les dispositions combinées des articles 38
et 209 du Code général des impôts d'où découle, selon lui, que « le bénéfice
imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de
toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur
objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale
normale » (42). Il nous semble toutefois que la seule explication légitime de la
jurisprudence repose, non sur le rattachement artificiel à un texte, mais sur
l'idée selon laquelle un principe général a préalablement été identifié par induction.
411.
La discussion est permise sur la source exacte du principe général en
question. Selon plusieurs rapporteurs publics, la théorie de l'acte anormal de gestion
pourrait ainsi être vue comme une conséquence du principe d'égalité de l'impôt
et de l'exigence de prise en compte des capacités contributives (43). Le raisonnement
fait notamment par Mme Bokdam-Tognetti illustre parfaitement la
méthode d'identification d'un principe général par induction : « quelle que soit
la cédule considérée, écrit-elle, l'imposition à l'impôt sur le revenu nous semble
traversée par une inspiration commune, qui se retrouve également en matière
d'impôt sur les sociétés, eu égard au pont fait avec les bénéfices industriels et
commerciaux par l'article 209 du CGI. En effet, il résulte du principe d'égalité
devant l'impôt, de l'exigence de prise en compte des capacités contributives réelles
des contribuables, ainsi que de la nécessaire protection des intérêts du Trésor
public, qui ne doit pas être anormalement lésé, qu'un contribuable ne saurait définir
ni moduler entièrement à sa guise son bénéfice ou son revenu imposable ». Et
plus loin : « L'ensemble des règles applicables à la détermination de l'assiette de
40. CE, plén. fiscale, 21 déc. 2018, nº 402006, Sté Croë Suisse, Dr.fisc. 2019, act. 45, note T. Pons,
Dr.fisc. 2019, nº 9, concl. A. Bretonneau, note F. Deboissy et G.Wicker ; RJF3/09, nº 246, concl.
A. Bretonneau C 246 et la chronique de V. Villette. On sait que cette décision comporte la définition de l'acte
anormal de gestion en l'état actuel de la jurisprudence.
41. Mme Bretonneau cite les articles 38, 39 et 209 du CGI. La décision Croë Suisse, fidèle en cela à la
jurisprudence, ne cite que les dispositions combinées des articles 38 et 209 du CGI.
42. CE, 8e
-3e ss-sect. réunies, 6 mars 2006, nº 281034 ; RJF5/06, nº 502 ; CE, 3e
-8e ss-sect. réunies, 30juin
2008, nº 291710, Sté civile du groupe Comte, Dr.fisc. 2008, nº 42, comm. 541, concl. E. Glaser, note A. Bonnet.
43. C'est le raisonnement proposé par É. Bokdam-Tognetti dans sa chronique intitulée « Inapplicabilité de
l'acte anormal de gestion aux BNC : qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse ? », RJF2/14, p. 108 et s.
Le même fondement constitutionnel est énoncé par Mme Bretonneau dans ses conclusions précitées sous l'affaire
Croë Suisse.

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