Hors collection - Sources et ressources de l’interprétation juridique - 85

LA LETTRE
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L'exercice n'est pas aisé. Nous convions le lecteur à le tenter pour interpréter
le marqueur C2 de la directive « DAC6 » (245) qui oblige les intermédiaires fiscaux
à déclarer aux autorités les dispositifs ayant pour effet d'obtenir dans plusieurs
États « des déductions pour le même amortissement d'un actif». La version
française de DAC6 utilise le terme « amortissement », mais la version
anglaise de la directive recourt au terme « depreciation » (ce concept paraissant,
contrairement à l'amortissement, inclure la perte de valeur momentanée des biens
qui ne se déprécient pas de manière irréversible dans le temps à raison de leur
nature).
Un autre exemple spectaculaire de comparaison des versions linguistiques
d'une directive peut être trouvé dans l'arrêt de grande chambre de la CJUE du
26 février 2019 relatif à l'interprétation de la directive intérêts-redevances (246),
et plus particulièrement de l'obligation pour le bénéficiaire d'un paiement qui
prétend à l'exonération de retenue à la source d'en être le « bénéficiaire effectif».
La Cour relève ainsi que : « les termes utilisés à l'article 1er
, paragraphe 1, de la
directive 2003/49 sont, selon la version linguistique, le " bénéficiaire " (247), le
" bénéficiaire effectif " (248), le " propriétaire " / " celui qui a le droit
d'utiliser " (249), ou encore " celui qui a droit en dernier lieu " » (250). Confrontée
à cette diversité de concepts, la CJUE retient que « la notion de " bénéficiaire des
intérêts " , qui figure à l'article 1er
, paragraphe 1, de la directive 2003/49, ne saurait
faire référence à des notions de droit national de portées diverses » (point 84).
Néanmoins, la Cour tente d'extraire de cette variété de formulations une idée
commune : comme elle le relève, « l'utilisation de ces différentes expressions
met en évidence que le terme " bénéficiaire " vise non pas un bénéficiaire identifié
formellement, mais bien l'entité qui bénéficie économiquement des intérêts perçus
et dispose dès lors de la faculté d'en déterminer librement l'affectation »
(point 89). Cette analyse linguistique, corroborée par une analyse téléologique
fondée sur les considérants introductifs de la directive ainsi que sur l'inspiration
historique de celle-ci (notamment en ce qu'elle emprunte sa finalité au modèle
OCDE de convention fiscale) permettra à la Cour de déboucher sur sa propre
définition de la notion de bénéficiaire effectif.
L'arrêt que l'on vient de citer démontre que la Cour s'efforce, lorsque c'est
possible, de dégager un dénominateur commun aux différentes versions linguistiques.
Elle se refuse en tout cas à faire prévaloir une version sur une autre et juge
qu'« une interprétation purement littérale (...) fondée sur le texte d'une ou de plusieurs
versions linguistiques, à l'exclusion des autres, ne saurait
245. Directive 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018.
246. CJUE, 26 févr. 2019, aff. C-115/16, C-118/16, C-119/16 et C-299/16.
247. En langues bulgare (бенефициерът), française, lettone (beneficiārs) et roumaine (beneficiarul).
248. En langues espagnole (beneficiario efectivo), tchèque (skutečný vlastník), estonienne (tegelik tulusaaja),
anglaise (beneficial owner), italienne (beneficiario effettivo), lituanienne (tikrasis savininkas), maltaise
(sid benefiċjarju), portugaise (beneficiário efectivo) et finlandaise (tosiasiallinen edunsaaja).
249. En langues allemande (der Nutzungsberechtigte), danoise (retmæssige ejer), hellénique (ο δικαιούχος),
croate (ovlašteni korisnik), hongroise (haszonhúzó), polonaise (właściciel), slovaque (vlastníkpožitkov), slovène
(upravičeni lastnik) et suédoise (den som har rätt till).
250. En langue néerlandaise (de uiteindelĳk gerechtigdep).
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