Systèmes - La Convention européenne des droits de l'homme - 3e - 166

La Convention européenne des droits de l'homme

étaient en jeu - se basa pour confirmer les décisions des juridictions autrichiennes.
La Cour dans cette affaire leur donna du poids : les juges connaissent mieux que
quiconque l'ambiance générale existant en Autriche, un pays qui, en plus d'avoir
un rapport spécifique au religieux, doit faire face à une intolérance grandissante
à l'endroit des Autres, notamment des membres de minorités ethniques et religieuses. Autrement dit, là où un esprit français pourrait critiquer une approche
qu'il considérerait trop conciliante (notamment parce que le « droit au respect
des croyances religieuses » ne fait pas (ou plus) partie du paysage juridique de
l'Hexagone (G. Calvès), la Cour quant à elle (loin d'une approche qui aurait pour
effet de gommer tous les particularismes nationaux) et devant appréhender les
spécificités juridiques de chaque pays et les contextes dans lesquels ils sont
actionnés, tenta de trouver un juste équilibre.

C. La question du statut des personnes
La portée de la liberté d'expression diffère-t-elle en fonction du statut des
personnes ? Les fonctionnaires, les hommes politiques, les syndicalistes ou
encore les avocats peuvent-ils utiliser comme ils l'entendent le droit à la liberté
d'expression ? Tout peut-il être dit ? Quelle est la ligne de partage entre le débat
d'intérêt général - qui admet la critique y compris virulente - et l'insulte voire
l'incitation à la haine et/ou la négation de crimes historiques avérés (v. Sur ce
dernier point com. art. 17) ? Quel est le curseur à respecter entre l'obligation de
neutralité (pour les fonctionnaires) ou l'obligation de respecter le secret de l'instruction (pour les juges, les journalistes et les avocats) et la liberté de s'exprimer ?
Ces interrogations posent toutes, en filigrane, la question de l'étendue du contrôle
de la Cour et de la marge d'appréciation qu'elle laisse aux États.

1. La liberté d'expression des fonctionnaires
Le statut de membre de la fonction publique a engendré une jurisprudence
particulièrement nourrie de la Cour qui a dû trouver un équilibre subtil entre
leur obligation de réserve - inhérente à leur statut - et le nécessaire respect de
leur liberté d'expression. Ainsi, même si la Convention - à l'inverse du PIDCP
(article 25) - ne peut s'appliquer aux affaires relatives à l'accès à la fonction
publique (CEDH, Gde Ch., 26 septembre 1995, Vogt c/ Allemagne ; CEDH, 28 octobre
1999, Wille c/ Liechtenstein), la Cour a été en mesure de se pencher sur tous les
autres aspects de leur évolution au sein de la fonction publique. Ceci précisé, les
fonctionnaires ne sont pas des citoyens comme les autres. Qu'ils soient fonctionnaires des affaires étrangères (Com. EDH, 13 mai 1992, Haseldine c/ Royaume-Uni),
militaires (CEDH, 13 décembre 1992, Hadjianastassiou c/ Grèce), juges (CEDH,
28 octobre 1999, Wille c/ Liechtenstein) ou enseignants (affaire Vogt précitée), il leur
incombe des « devoirs et responsabilités » particuliers qui varient en fonction de
leur niveau de responsabilité et de la nature de leur fonction. La question ici est
de savoir si de cette nécessaire neutralité peut dériver une obligation de « loyauté
politique ». Ce fut l'Allemagne qui alimenta la jurisprudence sur ces questions.
Cela s'explique au regard de l'histoire allemande marquée par le « mal radical »

166

Systèmes - La Convention européenne des droits de l'homme - 3e

Table des matières de la publication Systèmes - La Convention européenne des droits de l'homme - 3e