Systèmes - La Convention européenne des droits de l'homme - 3e - 232

La Convention européenne des droits de l'homme

inspirée ? De la formule ambiguë de Saint Just « Pas de liberté pour les ennemis
de la liberté » ou à l'inverse de la célèbre tirade attribuée à Voltaire : « Je déteste
vos idées, mais je donnerais ma vie pour que vous puissiez les exprimer » ? Le
dilemme est particulièrement délicat dès que l'histoire surgit, abrupte, dans
l'univers de la liberté d'expression. Le travail historique permet-il de discuter,
en allant jusqu'à les nier, des événements avérés ? La sacralisation de la liberté
d'expression permet-elle de jouer sur les rapports entre le temps et le droit
pour considérer qu'un génocide n'a pas eu lieu parce que le « mot » n'avait pas
encore été créé quand des massacres délibérés furent commis, à l'instar du
Mets Yegherrn (le Grand Crime) perpétré contre les Arméniens en 1915 (CEDH,
17 décembre 2013, Perincek c/ Suisse ; CEDH, Gde Ch., 13 octobre 2015, Perincek
c/ Suisse) ? De même, quand les propos et idées racistes s'épanouissent grâce
à la liberté d'expression, quelles doivent être les réponses des États démocratiques ? Les censurer au nom de l'apologie du racisme (comme en France) ou les
tolérer au nom de la liberté d'expression (comme aux États-Unis d'Amérique) ?
Les différences culturelles - révélatrices d'un rapport singulier à l'histoire - sont
de nos jours sources de multiples incompréhensions, qui sont très souvent le
ferment d'attitudes intolérantes et obscurantistes, d'autant plus quand la question
religieuse s'invite dans le débat...
La jurisprudence de la Cour ne permet pas de trancher de façon claire ces
différentes interrogations. Les juges le reconnaissent eux-mêmes : « ce qui caractérise les différentes approches suivies par la Cour sur le terrain de l'article 17,
c'est qu'elle ne se ferme aucune porte » (point 8 de l'opinion dissidente additionnelle du juge Silvis à laquelle se rallient les juges Casadevall, Berro et Kuris
sous l'arrêt de Grande chambre dans l'affaire Perincek (Gde Ch., 13 octobre 2015,
Perincek c/ Suisse). Pour le dire de façon plus abrupte, la cohérence n'est guère
au rendez-vous ; d'approche uniforme, il n'est point question. Le juge Villiger a
recensé plusieurs cas de figure qui démontrent que le maniement de l'article 17
est erratique dès que des propos négationnistes et/ou racistes sont en jeu (contribution du juge Villiger aux Mélanges Bratza). Tantôt l'article 17 sera directement
appliqué (ce qui entraîne l'irrecevabilité de la requête) ; tantôt il sera combiné en
dernier ressort avec l'article 10 et introduit uniquement au stade de l'examen
de la « nécessité » (la requête finissant par être rejetée pour défaut manifeste de
fondement) ; tantôt il sera délibérément écarté de l'analyse, la Cour mobilisant
l'article 10 § 2 pour condamner (ou pas) les autorités nationales.
En dépit de la difficulté d'ordonner la casuistique, on peut toutefois discerner
certaines lignes fortes : elles démontrent que la fermeté est au rendez-vous
s'agissant des écrits niant l'existence des chambres à gaz dans les camps de
concentration. Toutefois, si la négation de l'Holocauste - quelle que soit la forme
qu'elle prend - n'est pas conventionnellement tolérée, il n'en va pas de même
pour tous les crimes de masse (I). Quant aux propos racistes et xénophobes, la
Cour reste très réservée sur l'utilisation de l'article 17 (II).

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