Les Intégrales - Droit du marché numérique - 1re - 156

DROIT DU MARCHÉ NUMÉRIQUE

illégalité. Elle avait été dénoncée à la fois comme dangereuse en termes d'addiction pour
les joueurs, et constitutive d'un manque à gagner fiscal important pour l'État français23.
Dès lors s'était posée la question du contrôle de ces opérations sur lequel nous pouvons
revenir très brièvement24.
Le secteur du jeu présente une certaine spécificité. Elle tient à des considérations
morales et culturelles, au terrain propice à la criminalité ou encore aux risques encourus
par les consommateurs et conduit à reconnaître la licéité des monopoles publics, par
dérogation au principe de libre prestation de services. Ainsi en a décidé la CJCE dans
l'arrêt Schindler soulignant que « ces particularités justifient que les autorités nationales
disposent d'un pouvoir d'appréciation suffisant pour déterminer les exigences que
comportent la protection des joueurs et, plus généralement, compte tenu des particularités socioculturelles de chaque État membre, la protection de l'ordre social, tant en ce
qui concerne les modalités d'organisation des loteries, le volume de leurs enjeux, que
l'affectation des profits qu'elles dégagent. Dans ces conditions, il leur revient d'apprécier
non seulement s'il est nécessaire de restreindre les activités des loteries, mais aussi de
les interdire, sous réserve que ces restrictions ne soient pas discriminatoires ». Il est
constant qu'une réglementation d'un État membre qui interdit aux prestataires, établis
dans d'autres États membres, de proposer des services sur le territoire dudit État par
l'internet constitue une restriction à la libre prestation des services garantie par
l'article 49 du traité. Cependant, une telle réglementation nationale peut être justifiée
par une raison impérieuse d'intérêt général et être nécessaire et proportionnée au regard
de l'objectif poursuivi. Le législateur national ne saurait cependant exciper d'un des
objectifs ci-dessus mentionnés pour justifier des restrictions appliquées de manière
discriminatoire. Cette exigence est affirmée avec fermeté dans l'arrêt Gambelli de 2003,
dans lequel la Cour s'est attachée à vérifier la cohérence de la politique de canalisation
du jeu de l'État et son caractère systématique25. Ainsi, lorsque « les autorités d'un État
membre incitent et encouragent les consommateurs à participer aux loteries, aux jeux de
hasard ou aux jeux de paris afin que le trésor public en retire des bénéfices sur le plan
financier, les autorités de cet État ne sauraient invoquer l'ordre public social tenant à la
nécessité de réduire les occasions de jeu » pour justifier des mesures restrictives de prestations d'autres opérateurs26. Dans le même sens, « les articles 43 CE et 49 CE doivent
être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui exclut
du secteur des jeux de hasard les opérateurs constitués sous la forme de sociétés de capitaux dont les actions sont cotées sur les marchés réglementés », et qui impose une sanction pénale à ces sociétés « pour avoir exercé une activité organisée de collecte de paris
en l'absence de concession ou d'autorisation de police exigées par la législation nationale
lorsque ces personnes n'ont pu se munir desdites concessions ou autorisations en raison
du refus de cet État membre, en violation du droit communautaire, de les leur
accorder »27. C'est encore sur le terrain de la discrimination que s'est portée la CJCE en
2009 dans l'affaire Royaume d'Espagne à propos de l'exonération fiscale des gains du
loto28. Elle a jugé qu'« en maintenant en vigueur une législation fiscale qui exonère les
gains tirés d'une participation à des loteries, à des jeux et à des paris organisés au
Royaume d'Espagne par certains organismes publics et entités établis dans cet État
membre et exerçant des activités à caractère social ou d'assistance à but non lucratif,
sans que cette même exonération soit accordée aux gains provenant de loteries, de jeux
et de paris organisés par les organismes et les entités établis dans un autre État membre
(23) 2 milliards d'euros par an étaient misés sur les sites illégaux. V. F. TRUCY, Sénat, rapport nº 209 fait au nom de la
Commission des finances sur le projet de loi relatif à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des
jeux d'argent et de hasard en ligne, 19 janv. 2010.
(24) V. L. ARCELIN, « Paris limités, paris maîtrisés, paris régulés... mais paris libérés ! » : JCP E 2010, 1525.
(25) V. plus généralement sur les caractères cohérent et systématique des législations nationales restrictives, CJCE,
10 mars 2009, aff. C-169/07, Hartlauer, pt 55.
(26) CJCE, 6 nov. 2003, aff. C-243/01, Gambelli.
(27) CJCE, 6 mars 2007, aff. jtes C-359/04 et C-360/04, Placanica.
(28) CJCE, 6 oct. 2009, aff. C-153/08, Commission c/ Royaume d'Espagne.

156

Les Intégrales - Droit du marché numérique - 1re

Table des matières de la publication Les Intégrales - Droit du marché numérique - 1re