AUX ORIGINES DES STIGMATES DE LA FAILLITE 87 de lui permettre d'obtenir son dû. Comment douter dès lors de l'instrument de domination très puissant que représente la dette ? Les sanctions sociales témoignent de la réception parfaite de la stigmatisation imposée au débiteur défaillant par l'ensemble de ces institutions. De fait, sa neutralisation est perpétuée et entretenue sans qu'aucune intervention d'un ordre supérieur ne soit nécessaire. L'opinion publique se charge elle-même d'assurer la marginalisation des individus qui ont fragilisé les engagements sur lesquels repose en partie l'ordre social. Il ne fait aucun doute que cet héritage millénaire qui a permis la formation des stigmates de la défaillance allait avoir une influence considérable sur la faillite dès ses premières apparitions dans notre ordre juridique, au XVe siècle. Dès lors, le débiteur ne peut plus devenir l'esclave de son créancier et on ne lui impose plus des rituels humiliants. Pour autant, les stigmates de la faillite perdurent et s'inscrivent profondément dans la conscience collective. C'est là toute la force de ce mécanisme protéiforme : il sait s'adapter aux changements de mœurs, de règles juridiques et d'époque pour toujours marquer celui qui a malmené une norme sociale fondamentale. Le débiteur défaillant souffre concrètement de sa déviance. Désormais perçu sous le prisme des préjugés, exclu d'une communauté qui lui retire sa confiance, il ressort diminué de son incapacité à payer. Si les modalités de stigmatisation varient, les conséquences de la stigmatisation s'imposent encore aujourd'hui. Les fondements théoriques justifiant la répression de la défaillance évoluent et se renforcent lorsqu'elle prend le nom de faillite dans les ordonnances royales. La stigmatisation du failli sera donc différente mais tout aussi violente, à plus forte raison parce qu'elle procède d'une volonté d'instrumentaliser le commerce et de le faire rentrer dans un cadre moral dont on l'estime dépourvu. 259. Réservé.