Bibliothèque de droit des entreprises en difficulté - Tome 18 - La constance des stigmates de la faillite - 292

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LA CONSTANCE DES STIGMATES DE LA FAILLITE

culpabilité dans sa situation, le traitement infligé à l'homme innocent paraît bien
trop sévère, de fait il en devient cruel et l'on décrie violemment son injustice (2).
1. Une victimisation du failli
869. La conception du failli se transforme dès le début de la Seconde
République. Depuis plusieurs millénaires, le droit et la société s'accordaient à
considérer l'homme incapable de payer ses dettes comme un coupable dangereux,
particulièrement s'il était commerçant. Les conséquences de la faillite sont violentes pour le commerçant, elles sont donc critiquées très vivement lorsque la
remise en cause de l'esprit même du droit prend de l'ampleur.
870. La faillite provoque des séquelles de plusieurs ordres. Elle a des conséquences morales d'abord, puisque la déclaration de faillite « place le commerçant
sous le coup d'une sorte de flétrissure »45. Juridiques ensuite, car elle génère tout un
panel d'incapacités et le failli ne peut même plus gérer ses propres biens. Politiques
enfin, car elle suspend l'exercice de ses droits de citoyen et le prive de la possibilité
d'embrasser une fonction publique. L'ensemble de ces peines, parfaitement en
accord avec la manière de concevoir la faillite des époques précédentes, se heurte à
présent directement à l'idée que les faillis méritent la protection et la considération,
qu'il faut user « d'une entière indulgence en faveur de l'infortuné »46. La conception
selon laquelle ils sont en réalité des victimes qu'il faut aider s'impose peu à peu,
portée et encouragée par le renouveau politique qui a lieu en 1848.
871. Au-delà des conséquences morales et sociales de la faillite, un nouvel
argument contribue à victimiser le failli : sa misère. L'opinion publique dans les
époques précédentes faisait du sacrifice absolu le seul moyen pour le failli d'expier
ses fautes. À l'image d'un César Birotteau, il ne devait plus vivre que pour satisfaire ses créanciers, quitte s'il le fallait à se tuer à la tâche. On s'interroge à présent
sur la possibilité de prendre en compte les conséquences patrimoniales de la faillite sur la personne du failli. Il ne peut payer ses dettes en toute bonne foi parce
qu'il ne possède plus l'argent nécessaire à cette fin. Sa ruine, qu'on considérait
jusqu'alors néfaste seulement pour ses créanciers, devient digne de commisération. Il se retrouve « sans asile et sans pain, n'ayant d'autre consolation que le
témoignage de sa conscience pour subvenir aux besoins de sa famille »47.
872. Le failli serait-il finalement une victime tout autant que ses créanciers ?
Le renouveau apparaît ici fondamental : au lieu de considérer que le failli mérite
son sort parce qu'il a causé un dommage à ses créanciers, on prend en considération les conséquences de sa faillite sur sa propre situation. Il y a toujours eu,
même sous l'Ancien Régime, certains hommes pour défendre l'idée que le failli
peut parfois être innocent. On affirme à présent non seulement qu'il peut n'avoir
aucune espèce de responsabilité dans sa faillite, mais que plus encore il peut en
souffrir tout autant que ses créanciers.
873. Les très nombreux écrits qui s'attachent à décrire les conséquences d'une
défaillance commerciale n'accusent pas seulement la cruauté légale de faire souffrir
le failli. Bien au contraire, lorsqu'il s'agit de démontrer le traitement inhumain qui
conduit à aggraver l'état d'infortune dans lequel se trouve le failli, une majorité
45. BRAVARD-VEYRIÈRES, P., op. cit., p. 5.
46. LABEUNIE, J., op. cit., p. 11.
47. Ibid., p. 19.

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