Bibliothèque de droit privé - Tome 596 - L'anormalité en droit de la responsabilité civile - 100

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L'ANORMALITÉ EN DROIT DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE

rupture, initiée dans les lignes du Traité théorique et pratique de la responsabilité
civile, donne à la faute amorale sa pleine ambition et toute son ampleur en doctrine : l'idée de faute objective est pleinement admise, la primauté de l'élément
matériel ne fait plus de doute, l'anormalité de l'acte définit la faute civile. Il ne
faudrait pas, en outre, faire l'économie de l'analyse de la responsabilité contractuelle, dans laquelle une recherche de l'anormalité peut s'avérer intéressante
concernant l'étude du fait générateur. 
En définitive, si à l'origine l'anormalité du comportement définit la faute
civile de manière latente (§  1), l'évolution fera apparaître l'absorption de la
seconde par la première (§ 2).

§ 1. UNE DÉFINITION LATENTE
DE LA FAUTE CIVILE PAR L'ANORMALITÉ

84.  La faute du Code civil. On cherchera en vain une définition de la faute
dans le Code civil. Son apparition dans l'article 1382 (nouv. article 1240) ne lève
d'ailleurs aucune difficulté ; qu'il soit question de sa distinction avec le fait ou de
son contenu, le juriste ne trouvera pas de quoi se satisfaire. La rédaction ne s'avère
pas plus éclairante à l'article 1383 (nouv. article 1241), le mot « faute » n'y apparaît même pas. Une brève étude des termes révèlera une analyse pour le moins
classique. Il apparaît ainsi, traditionnellement9, que le terme « fait » de l'article 1382 (nouv. article 1240) désigne la faute intentionnelle, l'imprudence et la
négligence mentionnées à l'article 1383 (nouv. article 1241) renvoyant à la faute
simple. En procédant à une telle répartition des comportements fautifs, les rédacteurs ont finalement élaboré la distinction des délits et des quasi-délits. La portée
de cette distinction est pour autant très limitée puisque, dès 1804, la simple faute
d'imprudence ou de négligence suffit à faire jouer la responsabilité.
La lecture du Code civil renseigne ainsi aussitôt sur la nature du principe de
l'unité de la faute civile : toute faute, aussi légère soit-elle, oblige à réparation.
L'apport des anciens articles 1382 et 1383 (nouv. article 1240 et 1241) se limite à
cela. Cette vacuité dans la définition de la faute se manifeste également dans les
travaux préparatoires, au sein desquels les orateurs restent tout autant évasifs. On
trouve par exemple dans le discours de Treilhard que « celui qui par son fait a
causé du dommage est tenu de le réparer ; il est engagé à cette réparation, même
quand il n'y aurait de sa part aucune malice, mais seulement négligence et imprudence : c'est une suite nécessaire de son délit ou quasi-délit »10. Le rapport de
-Bertrand De Greuille ne se distingue pas plus par sa volonté de précision : « Tout
individu est garant de son fait ; c'est une des premières maximes de la société :
d'où il suit que si ce fait cause à autrui quelque dommage, il faut que celui par la
faute duquel il est arrivé soit tenu de le réparer »11. Les orateurs entendaient ainsi
légitimer ce principe de l'unité de la faute civile12.
9. Parmi d'autres : L. MAZEAUD, H. MAZEAUD et A. TUNC, Traité théorique et pratique de
la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, T. I, Montchrestien, 6e éd., 1965, p. 56.
10. P.-A.  FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, T.  XIII, Paris,
Videcoq, 1836, p. 467.
11. P.-A. FENET, op. cit., p. 474.
12. On retrouve cette même volonté chez TARRIBLE, dans son discours prononcé devant le
corps législatif, pour qui « lorsqu'un dommage est commis par la faute de quelqu'un, si l'on met en

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