Bibliothèque de droit privé - Tome 596 - L'anormalité en droit de la responsabilité civile - 206

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L'ANORMALITÉ EN DROIT DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE

qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de
santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de
gravité »80. Il n'est ainsi pas inintéressant de comparer l'appréciation de l'anormalité du dommage qui est réalisée par les juridictions au regard de ce texte avec celle
décrite plus en amont au titre du régime des troubles anormaux du voisinage.
C'est plus précisément la condition d'anormalité des conséquences posée par le
texte qui intéresse au premier chef81. À l'instar de ce qui a pu être remarqué
concernant la responsabilité civile, il revient ici également au juge de déterminer
ce qu'il convient d'entendre par « anormalité du dommage ». A priori, la notion
ne se démarque pas par son originalité, l'anormalité devant également être définie
largement comme « la part du dommage qui excède la gêne ou les inconvénients
qu'il convient de supporter dans une vie en société »82. La question de son appréciation soulève cependant quelques singularités.
Sur cette problématique, le contentieux a été pour la première fois porté
devant la Cour de cassation dans un arrêt du 31  mars 201183. La première
Chambre civile écarte le droit à indemnisation en soutenant que, compte tenu de
ses antécédents vasculaires, le patient victime « était particulièrement exposé à la
complication hémorragique survenue dont les conséquences, si préjudiciables
fussent-elles, n'étaient pas anormales au regard de son état de santé comme de
l'évolution prévisible de celui-ci ». Autrement dit, la prédisposition du patient
avant l'accident (antécédents vasculaires) le rendant plus vulnérable à un risque
de dommage (la complication hémorragique), la réalisation de ce risque ne saurait
être entendue comme une conséquence anormale. En précisant que les conséquences anormales doivent se déduire de l'état de santé initiale du patient et de
l'évolution prévisible de celui-ci, la définition légale oblige ainsi le juge à apprécier
in concreto l'anormalité. Le critère s'analyse dès lors par comparaison entre l'état
de la victime avant et après l'acte médical, en jugeant de la normalité ou non de la
relation qui a uni ces deux états. À la suite de cette décision de 2011, la question
de l'appréciation de l'anormalité des conséquences au regard de l'état de santé du
patient a donné lieu a un contentieux important84, bien que le mode d'appréciation soit sensiblement resté le même85. Plus récemment, le Conseil d'État a encore
80. Nous soulignons.
81. S'agissant du caractère de gravité, le seuil à atteindre pour pouvoir bénéficier de ce texte est
prévu par l'article D. 1142-1 al. 1er du Code de la santé publique et, ce faisant, ne renvoie pas à une
appréciation de la notion d'anormalité.
82. 
En ce sens, C. LANTERO, « Précisions sur le critère d'anormalité du dommage »,
AJDA 2015, p. 769, spéc. p. 774.
83. Cass. 1re civ., 31 mars 2011, n° 09-17135, D. 2011, p. 2565, obs. A. LAUDE ; ibid., p. 1075,
obs. I. GALLMEISTER ; ibid. 2012, p. 47, obs. O. GOUT ; RTD civ. 2011, p. 553, obs. P. JOURDAIN ;
RCA 2011, comm. 188, obs. Ch. RADÉ ; RDSS 2011, p. 761, note F. ARHAB-GIRARDIN.
84. CE, 16  décembre 2013, Mme  Audy, n°  354268, AJDA  2014, 1014 ; D.  2015, p.  124,
obs.  O. GOUT ; Cass.  1re civ., 2  juillet  2014, n°  13-15750, D.  2014, p.  1495, obs.  M.  BACACHE ;
D. 2015, obs. préc., O. GOUT ; RTD civ. 2014, p. 899, obs. P. JOURDAIN ; RCA 2014, com. 345,
obs. S. HOCQUET-BERG. Dans le même sens quelques jours plus tard, v. Cass. 1re civ., 10 juillet 2014,
n° 13-21603.
85. 
À ceci près, ainsi que le souligne P. JOURDAIN (obs.  préc.), que deux méthodes
d'appréciation de l'anormalité peuvent se dégager des décisions : dans un cas l'anormalité s'apprécie
à l'aune du risque issu de l'intervention médicale en elle-même, dans un autre cas, elle se déduit du
risque considéré au vu de l'état de santé initial du patient.  Si la seconde méthode semblerait plus
conforme à la lettre de l'article L. 1142-1.II du CSP, il n'en demeure pas moins, comme le remarque
l'auteur, que ces deux appréciations se recoupent largement, « car c'est bien souvent parce que le
patient est en mauvaise santé que l'acte devient techniquement plus risqué ».

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