Bibliothèque de droit privé - Tome 596 - L'anormalité en droit de la responsabilité civile - 410

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L'ANORMALITÉ EN DROIT DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE

pour éviter une exonération pour risque de développement197. Ces avantages
pourraient ainsi lui être procurés par le principe de responsabilité ici proposé. À la
suite d'une question préjudicielle soulevée par une juridiction espagnole, on sait
pourtant que la CJCE  est venue restreindre sensiblement cette possibilité de
concurrence. Dans son arrêt du 25 avril 2002, la Cour de justice interprète l'article  13 en énonçant que « le régime mis en place par la directive n'exclut pas
l'application d'autres régimes (...) reposant sur des fondements différents »198. Au
titre de ces « fondements différents », la garantie des vices cachés et la faute sont
directement visées par la CJCE. S'il s'agit pour certains d'une interprétation
contraire à la lettre de l'article 13199, ce serait pour d'autres la seule manière de ne
pas ruiner l'harmonisation européenne voulue par la directive de 1985200. Selon ce
dernier argument, c'est d'ailleurs l'article 13 lui-même qui devrait être remis en
cause201. L'intention des rédacteurs de la directive était pourtant, semble-t-il,
moins d'assurer une harmonisation complète du régime juridique que de fournir
un socle minimal commun de protection. À travers cette option laissée à la victime, il s'agissait ainsi de ne pas la priver de l'indemnisation de certains dommages non couverts par le texte européen202. Un tel compromis devient pourtant
un leurre si l'on prône, dans le même temps, une harmonisation complète au
niveau européen203.
Quoi que l'on puisse penser de cette solution, nul doute qu'il faille aujourd'hui
composer avec elle204. Il faut également admettre que ce souci d'harmonisation
européenne n'est pas sans redonner un certain éclat à la loi de 1998, qui ne peut,
197. V. en ce sens M. BACACHE-GIBEILI, Traité de Droit civil, T.  V, Les obligations, La
responsabilité civile extracontractuelle, Economica, coll. Corpus droit privé, 3e éd., 2016, n° 786 et s.,
p. 933 et s.
198. CJCE, 25 avril 2002, aff. C-52/00, D. 2002, p. 1670, obs. C. RONDEY ; ibid. p. 2462, note
Ch. LARROUMET ; ibid. somm. 2936, obs. J.-P. PIZZIO ; D. 2003, somm. 463, obs. D. MAZEAUD ;
RTD civ. 2002, p. 523, obs. P. JOURDAIN ; ibid. p. 868, obs. P. RAYNARD.
199. Cf. notamment en ce sens, M. BACACHE-GIBEILI, op. cit., n° 772, p. 922.
200. Ch. LARROUMET, note préc.
201. Ch. LARROUMET, note. préc., se demande en ce sens « comment l'article 13 de la directive
a pu autoriser la victime d'un dommage causé par le défaut d'un produit à fonder sa demande en
réparation sur un régime spécial de responsabilité existant dans l'État concerné antérieurement à la
notification de la directive ? ».
202. En ce sens Ph. BRUN, « La directive du 25  juillet  1985, le législateur français et la
Commission européenne : propos désabusés sur la réalisation d'un marché... de dupes », in Mélanges
en l'honneur de Bernard Dutoit, Librairie Droz, 2002, p.  21, spéc.  p.  24 ; J.-S. BORGHETTI, thèse
préc., p.  502 : « Pris en tenailles entre le souci d'augmenter la protection des consommateurs et
l'impossibilité d'y parvenir par le biais du texte communautaire, les auteurs de celui-ci n'ont finalement
pas eu d'autre choix que de se tirer une balle dans le pied en conférant un caractère optionnel à un
régime que ses seules qualités rendent en fin de compte peu attractif ». De la même manière, la
rédaction de l'article 1386-18 du Code civil avait pour but d'offrir la possibilité à la victime de tenir en
échec l'exonération pour risque de développement (G. VINEY, « L'introduction en droit français de
la directive européenne du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux »,
D. 1998, chron. p. 291, spéc. n° 25).
203. Cf. Ph. BRUN, art.  préc., p.  27, qui parle de « mauvais compromis » et de « faux
compromis ». L'auteur s'appuie sur les conclusions de l'avocat général, émises dans l'autre arrêt du
25 avril 2002 (C-183/00), qui fait lui‑même référence à l'objectif d'« harmonisation complète ». Pour
J. GHESTIN, « La directive communautaire du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait des produits
défectueux », D. 1986, p. 135, ce compromis était pourtant l'un des éléments essentiels de la directive.
204. Pour une réaffirmation, CJCE, 10  janvier 2006, aff.  C-402/03, D.  2006, pan. 1936,
obs. Ph. BRUN ; RTD civ. 2006, p. 265, obs. C. RÉMY-CORLAY ; ibid., p. 333, obs. P. JOURDAIN ;
JCP 2006, I, 166, obs. Ph. STOFFEL-MUNCK ; ibid., II, 10082, obs. L. GRYMBAUM.

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