Bibliothèque de droit privé - Tome 596 - L'anormalité en droit de la responsabilité civile - 70

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L'ANORMALITÉ EN DROIT DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE

couramment admis. On le comprend bien, l'objectif de fond véhiculé par une telle
dichotomie est, de manière générale, de distinguer le caractère factuel du dommage
de la notion juridique de préjudice127. C'est plus concrètement admettre que, si tout
dommage ne donne pas obligatoirement naissance à un préjudice réparable, tout
préjudice est nécessairement issu d'un dommage128. Il est pourtant difficile d'identifier, à travers cette distinction, la présence d'un véritable critère permettant de
faire varier l'existence de l'obligation de réparation. Au fond, en l'état actuel du
droit, n'est-ce pas simplement distinguer le dommage réparable de celui qui ne l'est
pas ?129 Il y a lieu de le croire. Pour l'étude du préjudice conçu comme une condition de la responsabilité, comme un critère juridique de discrimination, la distinction présentée n'apporte pas véritablement de plus‑value130, ce n'est qu'expliquer
autrement que certains dommages ne sont juridiquement pas réparables131. Si l'on
peut ainsi douter de la positivité et de la pertinence de cette distinction pour expliquer l'existence d'un dommage réparable132, il ne faudrait pour autant pas nier
totalement son opportunité. Assurément peut-on lui reconnaître un intérêt pédagogique tendant à expliquer qu'un même dommage puisse donner lieu à la réparation de plusieurs postes de préjudice dont il s'agit d'en établir la typologie133.
49.  Sélection et hiérarchisation des impacts négatifs. Un auteur note que la
distinction du dommage et du préjudice, si elle ne présente pas de lege lata un
intérêt pratique décisif, serait de lege ferenda riche de potentialités, notamment en
ce qu'elle permettrait d'affirmer clairement « le bien-fondé d'une définition du
préjudice qui permette de sélectionner, parmi les atteintes ou les souffrances pouvant être invoquées par un demandeur, celles qui sont susceptibles d'être indemnisées ou réparées par le biais de la responsabilité civile »134. On le sait bien, une
telle vision de sélection des dommages susceptibles d'être réparés n'est pas la
127. Y. LAMBERT-FAIVRE le résume bien dans son rapport : « entre le « dommage » qui
relève de l'élément factuel, et le « préjudice » qui relève du droit et exprime une atteinte aux droits
subjectifs patrimoniaux et extrapatrimoniaux subie par la victime » (Rapport du Conseil national de
l'aide aux victimes sur l'indemnisation du dommage corporel, juin 2003).
128. S. ROUXEL, th. préc., p. 10 : « le dommage engendre le préjudice, tout comme, d'ailleurs,
il peut n'engendrer aucun préjudice ». Pour résumer la suite de l'idée, l'auteur cite M. Le Roy : « « Le
dommage n'est pas l'équivalent mais la cause du préjudice et il ne peut y avoir de préjudice sans
dommage alors que l'inverse est possible » ».
129. 
Cf. en ce sens M. FABRE-MAGNAN, op.  cit., n°  104, p.  131-132 ; V. également
Y. CHARTIER, La réparation du préjudice, Dalloz, 1983, p. 1 : « Parler de préjudice - ou de dommage
- invite aussitôt à parler de dommage réparable » (l'italique est de l'auteur).
130. Selon F. LEDUC, « Faut-il distinguer le dommage et le préjudice ? : point de vue
privatiste », RCA n° 3, mars 2010, dossier 3, p. 2 : ce serait même « qu'on le veuille ou non, introduire
un facteur de complexité dans l'appréhension des conditions de la responsabilité ».
131. C'est nous semble-t-il ce qui ressort de la thèse de S. ROUXEL (th. préc.) lorsqu'elle tente
d'expliquer dans une première partie quels sont les impacts de la distinction sur les conditions de la
responsabilité civile (cf. p. 23 et s.).
132. Selon X. PRADEL, th. préc., n °14, p.  11-12 : « Il est assez regrettable d'isoler aussi
drastiquement avec cette théorie les éléments de fait et les éléments de droit. Si le préjudice est une
notion de droit, encadrée par un certain nombre de règles juridiques, elle repose nécessairement sur
une base factuelle. (...) cette distinction présente l'inconvénient de ne pas fournir de clé au juriste pour
analyser les conséquences juridiquement réparables du dommage ». Pour une critique de la distinction,
cf. également, G. VINEY, P. JOURDAIN, S. CARVAL, ouvrage op. cit., n° 246-1, p. 4 ; M. FABREMAGNAN, op.  cit., n°  104, p.  131-132 ; Ch.  COUTANT‑LAPALUS, Le principe de la réparation
intégrale en droit privé, thèse, Préf. F. Pollaud‑Dulian, PUAM, 2002, p. 41.
133. La nomenclature Dintilhac pourrait être interprétée en ce sens, en ce qu'elle vise à faire une
typologie des conséquences préjudiciables susceptibles d'atteindre une victime.
134. J.-S. BORGHETTI, art. préc., p. 154-155.

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