Bibliothèque de droit privé - Tome 596 - L'anormalité en droit de la responsabilité civile - 98

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L'ANORMALITÉ EN DROIT DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE

l'anormalité extrinsèque au dommage revient finalement se demander ce qu'il
faut en plus du déséquilibre subi par la victime pour déclencher la responsabilité
civile. Parmi ces différentes anormalités, la faute civile occupe cependant une
place spéciale. Elle constitue originellement, en effet, le siège de l'anormalité
extrinsèque. Autrement dit, dans le schéma classique de la responsabilité, l'anormalité extrinsèque ne se retrouve qu'à travers une analyse du comportement personnel. Une telle idée permet ainsi de conclure qu'à l'origine, toute responsabilité
civile suppose au préalable la réunion d'une double anormalité : l'anormalité
intrinsèque au dommage, qui se traduit par le déséquilibre subi par la victime, et
l'anormalité extrinsèque au dommage, qui s'exprime par la faute. La faute civile
est donc le lieu d'expression privilégié de l'anormalité extrinsèque. Les autres
types d'anormalité ne naîtront que plus tard, à la suite d'une modification de la
place de la faute3.
81.  Place et rôle de l'anormalité du comportement dans le schéma classique de la
responsabilité civile. Berceau de l'anormalité extrinsèque au dommage, seule la faute
doit dans un premier temps être analysée. Il s'agit dès lors de comprendre quelle
place joue l'anormalité du comportement dans la définition de la faute et quelle est
sa fonction dans la responsabilité civile. Une telle entreprise conduit à articuler
l'analyse au regard du rôle classique tenu par la faute en cette matière : celle-ci joue
tout à la fois un rôle principal de condition de l'obligation de réparation (Section 1)
et un rôle secondaire de modulateur de cette obligation (Section 2).

SECTION 1
L'ANORMALITÉ DU COMPORTEMENT,
CONDITION DE LA RESPONSABILITÉ
82.  Le premier point de rupture dans l'histoire de la faute civile : la faute amorale. Définir l'anormalité extrinsèque comme le critère juridique nécessaire, en
plus de la constatation du dommage, pour engager la responsabilité civile, c'est
immédiatement en appeler à la notion de faute civile. Tel est sans conteste l'interprétation qui ressort majoritairement du Code civil : l'engagement de la responsabilité est subordonné, en plus de la constatation d'un dommage et d'un lien de
causalité, à l'existence d'une faute. Le lien qui unit en outre la notion d'anormalité
et celle de faute est indéniable. Quoi de plus banal d'ailleurs que de définir la faute
comme un acte anormal ? Et pourtant, longtemps la doctrine s'est écartée de cette
définition pour la parer d'une dorure résolument morale. La faute à la base de la
responsabilité civile est ainsi censée représenter l'expression de la liberté humaine.
Ce postulat est une composante essentielle et préexistante au système de responsabilité4. Cet aspect philosophique est retranscrit techniquement à travers la
notion d'imputabilité. De ce schéma ressort une définition traditionnellement
3. Cf. infra titre II.
4. H. BATIFFOL place par exemple la Liberté comme un élément essentiel et préexistant à
toute responsabilité à côté de la causalité et du Juste (Préface à l'ouvrage sur La responsabilité, in
APD, T.  22, Sirey, 1977, p.  1). On retiendra encore les toutes premières lignes de la thèse de
H. AUVYNET, Droit romain : théorie des fautes. Droit français : faute contractuelle et faute délictuelle,
thèse, A. Durand et Pedone-Lauriel, 1893, p. 1 : « La responsabilité des actions de l'homme a pour
fondement sa liberté et sa volonté. Lorsqu'aucune contrainte extérieure ne s'impose à lui, lorsqu'il
jouit de sa raison, il est tenu de s'abstenir des actes contraires à la morale et au Droit ».

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