Bibliothèque de droit privé - Tome 599 - Les théories objective et subjective du contrat - 273

La consécration des fondements dans les droits positifs

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391. - Mais, y regarder de plus près, les deux clauses (obligation de transporter ; clause limitative de responsabilité) ne sont pas fondamentalement contradictoires. Il faut distinguer le caractère normatif du droit (le fait qu'il nous oblige)
et la coercition (le fait que l'on puisse nous imposer l'obligation juridique par la
contrainte). Il est tout à fait envisageable en effet qu'un système juridique existe
sans qu'aucune sanction étatique ne soit prévue. C'est d'ailleurs ce que prône le
philosophe Joseph Raz qui défend un perfectionnisme non coercitif256. En réalité,
la coercition ne vient que renforcer les raisons de se conformer au droit, sans le
constituer. En d'autres termes, la normativité du droit n'est pas due à la sanction
mais bien plutôt à sa capacité de guider l'action des personnes. C'est ce qu'a
magnifiquement montré le professeur Brunet dans sa thèse sur la normativité257 et
que l'on retrouvait déjà, aux États-Unis, dans la pensée de Lon L. Fuller258 mais
également chez les positivistes anglais et, en premier lieu, H.L.A. Hart259.
En distinguant la normativité de la règle de droit et la contrainte qu'elle justifie, on peut comprendre en quoi l'obligation de payer le prix de la part du client
était bien causée. En effet, au moment de la conclusion du contrat, il n'y a pas à
proprement parler absence de cause puisque la société Chronopost a bien l'obligation de livrer les plis avant une date déterminée. La cause ne disparaît qu'en cas
d'inexécution contractuelle de la part de la société Chronopost. Imaginons qu'un
client, dont le pli a été livré à l'heure, demande la nullité du contrat pour absence
de cause. Cela n'aurait aucun sens. La Cour de cassation répondrait bien évidemment que son engagement est causé par l'obligation de la société Chronopost de
livrer la chose en temps et en heure. L'obligation ayant été exécutée, et comme il
était tout à fait possible - contrôle de l'existence de la cause - de payer le prix
proposé par Chronopost pour un transport rapide, l'engagement du client était
bien causé. Dans cette perspective, quant aux clauses limitatives de responsabilité,
l'absence de cause ne peut être constatée qu'en cas d'inexécution contractuelle. En
d'autres termes, c'est au moment où le droit contraint que l'obligation perd son
caractère normatif, caractère qu'il avait pourtant parfaitement tant que la société
Chronopost exécutait correctement son obligation.
392. - Dès lors, la situation juridique visée par l'absence de cause « classique »
diffère profondément de la règle posée par l'arrêt Chronopost. En effet, nous avons
établi que, classiquement, le juge vérifie que le motif de la personne était concevable. Les professeurs Terré, Simler et Lequette écrivent qu'« est nulle faute de cause
la cession d'un brevet dépourvu d'utilité260, celle d'une idée de jeu ne bénéficiant pas de
la protection accordée aux protections intellectuelles261, celle d'un agrément administratif auquel n'est attaché aucun droit262, la convention qui a pour objet un droit de
présentation à des fonctions auxquelles aucune clientèle n'est attachée »263.
Ainsi, dans toutes ces situations, s'il y a absence de cause, c'est que le motif
apparent de contracter est impossible avant même que le contrat ne soit exécuté.
256. Joseph RAZ, The Morality of Freedom, s.l., Oxford University Press, 1986, 452 p.
257. François BRUNET, La normativité en droit, op. cit.
258. Lon L FULLER, The morality of law, New Haven, Connecticut, Yale University Press, 1969.
259. H.  L.  A HART, Le concept de droit, traduit par Michel Van De KerchoveBruxelles,
Belgique, Facultés universitaires Saint Louis, 2005.
260. Bordeaux, 23 novembre 1896, S. 96.2.207.
261. Civ. 1re, 6 octobre 1981, Bull civ. I, n°273, p. 227 ; Defrénois 1982.1311, obs. AUBERT.
262. Civ. 3e, 4 mai 1983, Bull. civ. III, n°103, p. 82 ; RTD civ. 1984.113, obs. CHABAS.
263. Civ. 1re, 25 avril 1990, Bull. civ. I, n°88, p. 64.

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