Bibliothèque de droit privé - Tome 599 - Les théories objective et subjective du contrat - 61

Chapitre II

L'APPROCHE FRANÇAISE :
LA THÉORIE SUBJECTIVE OBJECTIVÉE

52.  -  Le droit des contrats français est souvent présenté comme un droit
sous-tendu par une théorie subjective du consentement, selon laquelle la volonté
interne prévaudrait sur la volonté manifestée.
Plus précisément, les débats relatifs à la volonté interne et à la volonté
- anifestée ne sont pas nouveaux en France. À la suite de Savigny, une doctrine
m
importante relative à la théorie de la déclaration de volonté allemande a émergé,
notamment avec Saleilles et la publication de son ouvrage De la déclaration de
volonté, contribution à l'étude de l'acte juridique dans le Code civil allemand1 en
19012. Pour celui-ci, ce n'est pas tant la volonté interne qui doit être prise en considération par le droit que sa manifestation3. Et la raison première en est particulièrement simple, c'est que la volonté interne est insaisissable.
Au contraire, la manifestation engage le cocontractant puisqu'elle peut être perçue et constatée par une personne extérieure. Le doyen Carbonnier, se rangeant ici
plutôt derrière la doctrine de la déclaration, écrit que « l'essence de la volonté importe,
d'ailleurs, moins au droit que son extériorisation. C'est que les phénomènes psychiques
ne sont pas perceptibles directement et ne peuvent être déduits avec quelque certitude que
du comportement extérieur de l'homme. Aussi est-ce la manifestation de volonté du
contractant, plus que sa volonté elle-même, qui est l'élément primaire du contrat ».
Toute la difficulté est alors de justifier le fait d'engager une personne sans qu'elle
l'ait véritablement voulu (puisque sa volonté interne n'était pas en accord avec sa
volonté déclarée). Il semble que la doctrine française majoritaire ne s'y soit jamais
résolue, notamment en ce qu'elle a maintenu l'idée d'erreur-obstacle. Celle-ci
1. Raymond SALEILLES, De la déclaration de volonté, contribution à l'étude de l'acte juridique
dans le Code civil allemand, Paris, France, F. Pichon, 1901.
2. Paul GAUDEFFROY, L'erreur-obstacle, Thèse de doctorat, s.l., Université de Paris - Faculté de
droit de Paris, 1924, p. 16. : « C'est dans la deuxième moitié du 19e siècle, que les jurisconsultes allemands
soutenus par des philosophes ont commencé à critiquer la théorie de la volonté : la face interne des actes
humains devrait se soustraire à tout examen juridique, soit qu'elle échappe à toute considération, soit que,
susceptible de considération, elle se rattache alors à la morale. Et Windscheid, Dernburg, Regelsberger,
Bekker, Lhering, Bechman, Danz, Bülon lui ont alors opposé sous des formes légèrement divergentes la
théorie de la déclaration de la volonté. Et c'est M. Saleilles qui le premier nous la fit connaître. »
3. Pour une défense de l'adoption de la théorie objective du consentement en droit français, voir
notamment : Gwennhaël FRANÇOIS, Consentement et objectivation - L'apport des principes du droit
européen du contrat à l'étude du consentement contractuel, Préf. Patrick Chauvel., Aix-en-Provence, PU
Aix-Marseille, 2007. L'auteur écrit : « Il y a donc une véritable hypocrisie à vouloir toujours raisonner
en termes volontaristes, et à vouloir appréhender le consentement à travers le psychisme des parties.
Outre son caractère incongru, il faut d'ailleurs évoquer les dangers d'une telle analyse si la présomption
de volonté n'est pas le fruit d'une induction réfléchie, mais qu'elle procède tout à l'inverse de la plus
hypothétique conjecture. » (p. 16, §II).

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