Bibliothèque de droit privé - Tome 599 - Les théories objective et subjective du contrat - 69

L'approche française : la théorie subjective objectivée

53

non pas seulement d'une complexité particulière visée dans l'acte. C'est ce que nous
montre un arrêt de la Cour d'appel de Rennes en date du 26 octobre 195025.
Cette affaire est également relative à un contrat de prêt à terme différé mais,
cette fois-ci, le contrat a été considéré comme clair et non équivoque. Pourtant, la
Cour d'appel, infirmant le jugement de première instance, a considéré que l'erreur
sur la nature de la convention pouvait être admise. Plus précisément, le 23 décembre
1949, le Tribunal civil de Vitré avait jugé qu'une personne concluant un contrat de
prêt à terme différé dont les « conditions d'attribution [sont] claires et sans équivoques » ne peut ensuite se prévaloir de l'erreur sur la nature de la convention,
arguant qu'il croyait contracter un prêt immédiat. La deuxième chambre civile de
Cour d'appel de Rennes infirme le jugement de première instance dans un arrêt en
date du 26 octobre 1950. Elle estime que l'appelant avait été « séduit par une publicité trompeuse puisqu'elle dissimulait aux emprunteurs éventuels la clause selon
laquelle les prêts consentis étaient des prêts à terme différé ». Cette dissimilation a
alors causé l'erreur sur la nature de la convention que le souscripteur a conclue.
En d'autres termes, le contrat était clair et non équivoque pour un juriste averti
mais la clause stipulant le terme différé n'était pas assez mise en valeur pour que
le contractant puisse en être averti et comprendre le contrat qu'il signait. Cette
erreur a fait obstacle à la rencontre des volontés en ce que le client pensait conclure
un contrat de prêt à terme immédiat, alors qu'il s'agissait d'un contrat de prêt à
terme différé. Au contraire de l'arrêt du 18 juillet 1956, où la Cour de cassation
avait considéré que l'erreur sur la nature du contrat résultait d'une complexité
dans la rédaction même du contrat, cette fois-ci l'erreur résulte d'une complexité
dans la présentation du contrat par le prêteur. Cette présentation équivoque (par
une publicité trompeuse) d'un contrat en lui-même non équivoque par la banque
semblerait pourtant démontrer que celle-ci s'est rendue coupable de manœuvres
dolosives pour faire conclure le contrat à son client à des termes différents de ceux
qu'il envisageait. Cependant, c'est bien l'erreur qui est retenue, peut-être car l'erreur-obstacle sur la nature du contrat affecte bien plus fondamentalement le
contrat qu'une erreur résultant d'un dol. Le contrat n'est en effet par principe pas
formé, et ne devrait donc pas exister. Nous verrons cependant une fois de plus
qu'il n'en est rien : le contrat est annulé et existait donc bien aux yeux du droit.
Les cas d'erreur-obstacle visés en jurisprudence ne sont pas simplement des
erreurs sur la nature du contrat mais peuvent également porter sur l'objet visé par
les parties.
B. L'ERREUR-OBSTACLE SUR L'OBJET DU CONTRAT
66. - L'exemple classique de l'erreur-obstacle sur l'objet du contrat est celui
d'un vendeur qui croit vendre tel immeuble alors que l'acquéreur pense en acheter
un autre26. Cette fois-ci, il ne semble pas que ce soit la complexité du contrat ou de
25. Rennes, 26  octobre 1950, Gaz.  Pal.  1951.1.27. Pour un arrêt plus récent considérant que
l'imprécision de la rédaction a pu causer une erreur sur la nature du contrat, voir Com. 29 mai 2001,
98-12145 : « Mais attendu qu'après avoir retenu que M. Y., bien que professionnel au fait de la
distinction entre un VRP et une société commerciale exerçant une activité d'agent commercial, avait
pu commettre une erreur sur la nature du contrat au moment de sa formation en raison de sa rédaction
imprécise » (nous soulignons).
26. Philippe MALAURIE, Laurent AYNÈS  et Philippe STOFFEL-MUNCK, Droit des
obligations, op.  cit., p.  287, §503. : error in corpore ; François TERRÉ, Philippe SIMLER et Yves
LEQUETTE, Droit civil. Les obligations., op. cit., p. 235, §212.

978-2-275-07309-5__DOCFILE__07309_gaiardo.indd 53

22/04/2020 16:44:38
Bibliothèque de droit privé - Tome 599 - Les théories objective et subjective du contrat

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit privé - Tome 599 - Les théories objective et subjective du contrat
