Bibliothèque de droit privé - Tome 599 - Les théories objective et subjective du contrat - 71

L'approche française : la théorie subjective objectivée

attesté28. En l'espèce, une partie pensait acheter 55 francs les 1 000 ouvre-bouteilles,
tandis que le cocontractant pensait les vendre 550 francs. En cela, la Cour considère
que si le malentendu pouvait être prouvé, le contrat ne devrait pas avoir d'effet. Le
professeur Rodière écrit, pour bien différencier l'erreur sur le prix de l'erreur sur la
valeur : « l'erreur sur le prix en l'espèce était l'erreur concernant la somme de numéraire
que cet acheteur devait verser pour chaque ouvre-bouteilles ou pour un cent ou un millier
de décapsuleurs, tandis que l'erreur sur la valeur eût été une fausse appréciation par lui
du sacrifice qu'il devait faire pour se procurer sur le marché 1, 100 ou 1 000 ouvre--
bouteilles ». Pour lui, « la première [l'erreur sur le prix] est extérieure et empêche les
volontés de se rencontrer ; elles passent à côté l'une de l'autre, comme deux navires
contre bordiers »29. Le professeur Cornu y voit également un « malentendu fondamental » qui n'entre pas « dans la catégorie des vices du consentement ». Plus précisément,
« cette mésentente de base constitue une erreur-obstacle qui empêche l'accord de s'établir, les volontés de se rencontrer sur un élément constitutif du contrat »30. Pourtant, c'est
bien la nullité du contrat qui sera prononcée.
71. - En revanche, un promoteur immobilier ne peut invoquer une erreur
sur le prix faisant obstacle à la rencontre des consentements lorsqu'il a interverti,
par erreur, les prix de deux lots distincts. Plus précisément, un couple propose
d'acquérir un appartement auprès d'une société. La représentante de la société
intervertit le prix des lots 12 et 13 dans l'acte de réservation. Elle fait également
une erreur sur la désignation de la surface de l'appartement. Il semble donc à
première vue qu'elle ait dressé l'acte de réservation sur un lot différent de celui
visé par les acquéreurs. Les acquéreurs se rendent compte de l'erreur sur la surface de l'appartement et le signalent. La représentante confirme alors le prix tout
en corrigeant l'erreur sur la surface. En d'autres termes, la rectification de la
28. Civ. 1re 28 novembre 1973, D. 1975.21 note RODIÈRE, Gaz. Pal. 1974.1.353,
RTD civ. 1974.628, obs. CORNU, 1975.702 obs. LOUSSOUARN. Des arrêts postérieurs de
juridictions inférieures vont dans le même sens. Le 7 janvier 1982, le Tribunal de Grande instance de
Pau (TGI Pau 7 janvier 1982, JCP 1983 II 19999 note COIRET) a considéré que l'erreur sur le prix de
vente d'une voiture d'occasion qui était proposée à dix pour cent de la valeur réelle du bien empêchait
la volonté du vendeur de rencontrer celle de l'acquéreur. En l'espèce, un homme fait paraître une
annonce dans le quotidien « La République des Pyrénées » pour offrir à la vente son véhicule. La
voiture est cotée à l'Argus 13 500 francs et le prix proposé dans l'annonce est de 1450 francs. Un
acquéreur se manifeste : la femme du vendeur lui remet le véhicule ainsi que tous les documents
nécessaires en échange du chèque de 1 450 francs. Le vendeur demande alors par téléphone, puis par
télécopie, le paiement de complément du prix (13 050 francs, pour arriver à la somme de 14 500
francs., prix qu'il avait en tête lorsqu'il a envisagé de vendre son véhicule) ou, à défaut, la restitution
du véhicule. Pour le tribunal, « l'accord intervenu entre les parties n'est [...] qu'apparent étant avéré
que le prix payé et accepté ne représentait que le 1/10e de celui que le vendeur espérait raisonnablement
tirer du contrat ». Ainsi, les volontés ne se sont pas rencontrées. Il n'y a pas de contrat.
Quelques années plus tard, la Cour d'appel de Paris (Paris, 7 mars 1989, D.S. 1989.128) est allée
dans le même sens que le Tribunal de Pau. Plus précisément, le vendeur d'un appartement formule une
première offre de vente pour 470 000 francs. Il semble alors que le vendeur la refuse. Dans tous les cas,
une deuxième offre de la part du vendeur parvient à l'acquéreur cinq mois plus tard pour 268 000
francs. La Cour juge alors que le vendeur a fait une erreur en stipulant le prix demandé : la
disproportion entre les deux offres, entre la valeur du bien et l'offre et le fait qu'une créance
hypothécaire grevant le bien était supérieure au prix demandé, montrent que le vendeur n'a pas
souhaité vendre à ce prix-là. Ainsi, l'acceptation de l'acquéreur n'a pas pu s'accorder avec l'offre
erronée du vendeur (on peut malgré tout douter de l'erreur du vendeur, le prix ayant été à la fois
précisé en chiffres et en lettres. Cela semble, mais nous y reviendrons, une manière d'accueillir, dans
certains cas particuliers, l'erreur sur la valeur pourtant réputée indifférente).
29. D. 1975.21 note RODIÈRE, p. 22, nous soulignons.
30. RTD civ. 1974.630, obs. CORNU, p. 630.

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