Bibliothèque de droit privé - Tome 600 - L'usufruit atypique - 269

Un transfert des utilités de la chose

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objet des choses corporelles. Mais il peut aussi porter sur des biens incorporels :
fonds de commerce, créances, droits intellectuels... La même qualification s'applique alors plus malaisément »56.
398. Dès lors, si l'on s'en tient à l'analyse du pouvoir direct comme une
emprise matérielle sur les choses, il est certain que ni l'usufruit des créances, ni
même l'usufruit des biens incorporels en général, ne peuvent être qualifiés de
droits réels. Il est cependant permis de penser qu'une autre définition des droits
réels doit être retenue.
b) Conception retenue du pouvoir direct sur une chose :
l'absence d'intervention d'un sujet personnellement obligé
399. La conception matérielle du pouvoir direct sur les choses semble excessive. Pour le comprendre, il faut en revenir à l'opposition classique entre les droits
réels et les droits personnels et rechercher ce qui les distingue catégoriquement. Les
droits personnels sont des rapports d'obligation entre deux ou plusieurs personnes :
ils se caractérisent par l'intervention d'un sujet personnellement obligé, sans lequel
le droit n'existerait même pas. L'essence du droit personnel est donc l'obligation due
par un sujet précis et déterminé57. Au regard de ces éléments, on peut douter que ce
qui caractérise les droits réels soit l'absence d'intervention de toute personne quelle
qu'elle soit. Ne s'agirait-il pas au contraire de l'absence d'intervention d'un sujet
personnellement obligé autrement dit, de l'absence d'intervention du nu-propriétaire ? Certains auteurs le laissent entendre lorsqu'ils comparent les droits du locataire et de l'usufruitier. Messieurs Terré et Simler écrivent ainsi que « le bail n'engendre que des obligations réciproques : le preneur n'a qu'un droit de créance
contre le bailleur, qui doit lui assurer une jouissance paisible de la chose. Au
contraire, entre l'usufruitier et le nu-propriétaire il n'y a, en principe, aucun lien d'obligation, ni contractuel, ni même légal »58. L'opposition entre le droit du locataire et
celui de l'usufruitier est donc fondée sur l'existence d'une obligation, dans le premier cas, et son absence, dans l'autre. Selon Messieurs Terré et Simler, ce n'est donc
pas tant le fait que l'usufruitier puisse jouir du bien sans l'intervention d'une quelconque personne qui distingue sa situation de celle du locataire que le fait qu'il
puisse exercer sa jouissance sans l'intervention d'un nu-propriétaire obligé.
Au regard de ces éléments, on peut proposer une nouvelle définition du pouvoir direct sur les choses qui définit les droits réels. Ce pouvoir se caractérise ainsi
par le seul fait que son titulaire puisse jouir de la chose sans l'accomplissement
d'une obligation spécifique par une personne déterminée. Le pouvoir direct n'apparaît plus, dès lors, comme la faculté de se saisir matériellement de la chose sans
l'intermédiaire d'une personne quelle qu'elle soit, mais comme la possibilité pour
son titulaire de jouir du bien sans l'intervention d'un sujet personnellement obligé.
Telle est du reste, selon Beudant, « la pierre de touche du droit réel »59.
400. La redéfinition des droits réels et du pouvoir direct qui les caractérise
offre un nouveau regard sur l'usufruit des droits personnels. On constate en effet
que ce mécanisme fonctionne comme un droit réel classique.
56. F. TERRE et Ph. SIMLER, Droit civil, Les biens, op. cit., n° 775, p. 703.
57. En témoigne d'ailleurs l'étymologie du mot « obligation », issu du latin ob-ligare qui signifie
« lier ».
58. F. TERRÉ et Ph. SIMLER, Droit civil, Les biens, op. cit., n° 778, p. 706.
59. C. BEUDANT, Cours de droit civil français, op. cit., t. IV, Les biens, par P. VOIRIN, n° 420,
p. 462.

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