Bibliothèque de droit privé - Tome 600 - L'usufruit atypique - 330

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L'USUFRUIT ATYPIQUE

494.  Contrats de cession exclusive -  En effet, si l'utilité essentielle des droits
intellectuels réside dans leur potentiel d'exploitation, il semble évident que toute
cession exclusive de ces droits à un tiers constitue une atteinte à leur utilité essentielle. Rappelons que de tels contrats ont pour spécificité de faire perdre - du
moins momentanément  - la titularité du droit au cédant96 et d'interdire l'exploitation du bien à tout autre que le cessionnaire. Il en découle que si le contrat est
encore en cours au jour de l'extinction de l'usufruit, le propriétaire se trouvera
privé de toute possibilité d'exploiter le bien. La conclusion de contrats de cession
exclusive par l'usufruitier conduit alors à restituer au propriétaire un bien
dépourvu d'intérêt, et devrait, par conséquent, être interdite à l'usufruitier.
Certains auteurs nuancent toutefois cette affirmation. Selon une opinion
déjà évoquée, il est parfois soutenu qu'un contrat de cession exclusive conclu pour
une courte durée peut être accompli par l'usufruitier, dans la mesure où il ne prive
le propriétaire de la possibilité d'exploiter les droits intellectuels que temporairement97. Cette affirmation paraît d'autant plus convaincante qu'une solution similaire est admise en droit des baux98. La comparaison est cependant contestable.
Comme le relève un auteur, « rien n'est plus pérenne qu'un bâtiment ou un fonds
de terre »99, de sorte que le propriétaire est presque toujours certain de récupérer
un jour la jouissance de l'immeuble. À l'inverse, la durée du monopole s'épuise
avec le temps, de sorte qu'une cession exclusive, même temporaire, diminue les
possibilités d'exploitation des droits par le propriétaire.
Il en va de même en présence d'une cession exclusive partielle. À l'encontre
de cette opinion, des auteurs considèrent qu'une cession limitée à certains éléments du monopole doit être permise à l'usufruitier car elle ne serait alors constitutive que d'un acte d'administration100. L'application du critère de la substance
conduit cependant à une solution différente. De fait, si l'utilité essentielle des
droits de propriété intellectuelle renvoie à la possibilité de leur exploitation économique, cette utilité s'entend de toutes les possibilités d'exploitation du bien. Il faut
donc considérer qu'une cession exclusive, même cantonnée à certaines parties du
monopole, porte atteinte aux utilités essentielles des droits en cause, puisqu'elle
prive totalement le propriétaire d'une partie des avantages du monopole101.
Il est enfin soutenu qu'une cession exclusive serait susceptible de préserver la
substance des droits intellectuels lorsqu'elle donne lieu à une rémunération
96. B.  LARONZE, L'usufruit des droits de propriété intellectuelle, thèse préc., n°  501, p.  223 :
« Lorsque la cession est consentie à titre exclusif le cessionnaire devient seul titulaire du droit, à
l'exclusion du cédant ».
97. V. supra n° 172. Sur ce point, v. également Ch. SIMLER, Droit d'auteur et droit commun des
biens, préf. Ch. CARON, Strasbourg, C.E.I.P.I., 2010, n° 477, p. 346.
98. Il est en effet admis qu'à l'extinction de l'usufruit, le propriétaire soit temporairement privé
de la jouissance de l'immeuble du fait de l'opposabilité temporaire des baux conclus par l'usufruitier
(C. civ., art. 595 al. 2 et 3).
99. N.  KILGUS, L'usufruit des biens incorporels, thèse préc., n° 622, p. 555.
100. S'agissant des droits d'auteur, v. J.-M. OLIVIER et P.-Y. GAUTIER, Les interférences des
règles du droit d'auteur avec les régimes matrimoniaux et les successions, Paris, éd. du Cridon, 1998,
p.  40. Dans le même sens, S. JACQUIER, Le pouvoir du juge sur les contrats d'auteur, préf.
P.-Y. GAUTIER, Aix-en-Provence, P.U.A.M., 2001, n° 80.
101. Sur ce point, v. N. KILGUS, L'usufruit des biens incorporels, thèse préc., n° 622, p. 555 :
« Transposer le raisonnement, par exemple au niveau d'une maison d'habitation, conduirait à affirmer
que l'usufruitier peut la dégrader ou en arracher une partie, sous réserve que ces atteintes soient
limitées. Le raisonnement ne convainc guère ».

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