Bibliothèque de droit privé - Tome 600 - L'usufruit atypique - 333

La redistribution des pouvoirs

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Par ailleurs, il peut sembler injuste d'interdire à l'usufruitier de consentir des
cessions et des licences non exclusives portant sur la totalité des droits, ou dépassant une certaine durée. De fait, une telle mesure peut avoir pour effet, selon les
circonstances, d'empêcher l'usufruitier de jouir des biens jusqu'à la fin de son
usufruit, ce qui est contraire à l'essence même de l'institution112. De même, interdire à l'usufruitier de conclure une cession ou une licence non exclusive globale
revient à restreindre l'assiette de son droit de jouissance113.
Il convient donc de rechercher les moyens d'assouplir les solutions obtenues.
498. Instauration d'une coopération - Pour ce faire, l'on peut s'inspirer du
droit commun de l'usufruit. Il existe en effet d'autres situations dans lesquelles la
protection de la substance des biens grevés et celle des droits de l'usufruitier
semblent inconciliables. Or, face à ces situations, le Code civil ne choisit pas toujours d'interdire les actes litigieux. Ainsi, l'usufruitier d'un immeuble n'est pas
privé de la possibilité de conclure les baux les plus graves, mais doit obtenir, pour
leur passation, l'accord du propriétaire (C. civ., art. 595 alinéa 4). Le Code civil
privilégie ainsi la coopération à l'interdiction pure et simple.
Cette solution pourrait être transposée à l'usufruit des droits de propriété
intellectuelle. Malgré certaines réticences114, rien ne semble véritablement faire
obstacle à l'extension de la règle. Car si la théorie du démembrement s'opposait
par principe à toute idée de collaboration entre les parties, la redéfinition de l'usufruit en tant que partage d'utilités est au contraire parfaitement conciliable avec
l'idée d'une telle collaboration. Ainsi, plutôt que d'être interdite à l'usufruitier, la
passation des contrats de cession exclusive pourrait être soumise à l'accord du
propriétaire. Cela permettrait de préserver les droits des deux parties, le propriétaire pouvant prendre part au processus de décision et l'usufruitier pouvant,
quant à lui, faire produire des revenus au bien115.
On pourrait objecter que le propriétaire est toujours libre de refuser de donner son accord à l'acte réclamé par l'usufruitier. Là encore, la difficulté peut être
surmontée par référence au droit commun de l'usufruit. L'article 595 alinéa 4 du
Code civil prévoit en effet qu' « à défaut d'accord du nu-propriétaire, l'usufruitier
peut être autorisé par justice à passer seul cet acte ». Par analogie, on pourrait
imaginer que l'usufruitier puisse être autorisé par le juge à consentir une cession
ou une licence exclusive des droits intellectuels s'il en va, par exemple, de la sauvegarde des biens concernés116. En tout état de cause, l'éventualité d'un refus du
propriétaire ne doit pas être exagérée car dans bien des hypothèses, ce dernier
112. En ce sens, v. B. LARONZE, L'usufruit des droits de propriété intellectuelle, thèse préc.,
n° 528, p. 233.
113. B. LARONZE, L'usufruit des droits de propriété intellectuelle, thèse préc., n° 526, p. 232.
114. C. CARON, « Brèves observations sur l'usufruit en droit de la propriété intellectuelle », Dr.
et patrimoine mai 2005, p. 94 : « Il n'y a pas de raison d'appliquer les solutions de l'article 595 du Code
civil, qui imposent le concours du nu-propriétaire pour conclure certains baux de longue durée. En
effet, ces dernières sont spéciales et ne sauraient être, mutatis mutandis, appliquées à d'autres
situations ».
115. N. KILGUS, L'usufruit des biens incorporels, thèse préc., n° 626, p. 558 : « La sauvegarde
des utilités de la chose serait alors le point de convergence des intérêts respectifs de chacun. Négocier
au mieux la convention permettrait à l'usufruitier de s'assurer un revenu maximum, tout en
garantissant au nu-propriétaire que l'exploitation visée préserve la valeur et la renommée de l'œuvre
ou de l'invention ».
116. N. KILGUS, Ibid.

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