Bibliothèque de droit privé - Tome 600 - L'usufruit atypique - 60

L'USUFRUIT ATYPIQUE

contenu. Or, selon les modernes, les auteurs classiques se seraient laissés abuser
par les écrits des post-glossateurs133, mais passeraient surtout à côté de ce qui
constitue l'essence de la propriété, à savoir, l'exclusivité sur les biens. La doctrine
« dissidente » propose ainsi un renversement de perspective, selon lequel le cœur
de la propriété n'est plus constitué par la jouissance des utilités de la chose, mais
par le pouvoir d'exclure autrui d'un domaine réservé.
C'est dans le célèbre Traité de Planiol134 que l'on trouve les prémisses d'un tel
bouleversement. Considérant qu'aucun rapport juridique ne peut exister entre
une personne et une chose135, l'auteur y condamne la définition classique des
droits réels en tant que pouvoirs directs sur les biens. Ces droits apparaissent au
contraire comme « un rapport juridique entre une personne comme sujet actif et
toutes les autres comme sujets passifs »136 , le sujet actif étant créancier d'une
obligation passive universelle qui « commande au monde entier de ne pas entrer
en contact avec cette chose »137. Dans ce contexte, la propriété ne se définit plus
comme une somme de pouvoirs concrets sur la chose, mais comme l'aptitude du
propriétaire à exclure autrui du domaine de sa jouissance138.
Une telle conception sera ensuite reprise par bon nombre d'auteurs modernes.
Partant d'un constat quelque peu différent de celui de Planiol, ces derniers considèrent qu'il est vain de chercher à définir la propriété par l'énumération des pouvoirs qu'elle confère. Selon eux, il apparaît impossible de recenser l'ensemble des
prérogatives offertes par la propriété, ces dernières étant infinies et devant s'entendre d'« un espace de liberté et de volonté a priori illimité »139. La doctrine
moderne soutient en outre qu'aucun des attributs classiques de la propriété ne saurait en constituer un critère essentiel140. Ginossar relève ainsi que pour qu'un des
attributs de la propriété puisse être considéré comme critère, il faudrait que ce dernier soit inséparable de la propriété et ne se retrouve dans aucun autre droit141. Or,
ce n'est selon lui le cas ni de l'usus et du fructus, qui peuvent être retirés à la propriété sans altérer cette dernière142, ni de l'abusus, qui caractérise d'autres droits que
la propriété, tel que le droit de créance. Reprenant cette conception, certains auteurs
considèrent encore que la définition du droit de propriété ne peut être trouvée dans
la liste de ses prérogatives, ces dernières étant à la fois illimitées et contingentes143.
L'essence de la propriété résiderait alors plutôt dans l'exclusivité qu'elle
confère à son titulaire. Ginossar écrit ainsi que « la propriété n'est (...) autre que la
133. Et notamment par les écrits de Bartole, « Jus de re corporali perfecte disponandi, nisi lex
obsistat », D. 41. 2. 17, n° 4. Sur l'influence des glossateurs sur la définition de la propriété par son
contenu, v. supra n° 8.
134. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, t. I. F. Pichon, Paris, 1906.
135. V. infra n° 386.
136. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, op. cit., n° 2160, p. 676.
137. Ch. GIJSBERS, Sûretés réelles et droit des biens, dir. M. Grimaldi, Thèse dactyl. Paris II,
2012, n° 167, p. 158.
138. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, op. cit., n° 2329, p. 741 : selon l'auteur, l'essence
de la propriété « consiste dans l'attribution de la jouissance d'une chose à une personne déterminée, à
l'exclusion de toutes les autres ».
139. F. ZÉNATI, Essai sur la nature juridique de la propriété, thèse préc., n° 421, p. 580.
140. S. GINOSSAR, Droit réel, propriété et créance, op. cit., n° 11, p. 31. « Après notre analyse il
faut bien reconnaître que ni le pouvoir total, permanent et exclusif, ni aucun des éléments qui le composent,
ni même la faculté de disposition, ne peuvent être considérés comme attributs essentiels de la propriété ».
141. S. GINOSSAR, Droit réel, propriété et créance, op. cit., n° 12, p. 33.
142. Une telle hypothèse renvoie notamment au cas d'un bien grevé d'usufruit ou de servitude.
143. F. ZENATI, Essai sur la nature juridique de la propriété, thèse préc., n° 421, p. 581.

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