Bibliothèque de droit privé - Tome 600 - L'usufruit atypique - 65

L'extension du domaine de l'usufruit

propriété industrielle, les fonds de commerce, les fonds libéraux, les offices et les
clientèles. Tel est le cas de Messieurs Zénati et Revet, qui affirment que les choses
immatérielles « ne sont pas le produit de l'art juridique mais de la créativité ou de
l'industrie de l'homme. En dépit des efforts prodigués pour les qualifier de tels, ce
ne sont pas des droits mais, comme les choses corporelles, des choses réelles »173.
La différence entre ces biens tient au fait que les uns sont une création du
système légal et n'ont en ce sens qu'une « consistance juridique »174, tandis que les
autres existent indépendamment de ce système. Monsieur Libchaber écrit ainsi
que « contrairement aux droits qui ne peuvent exister qu'avec le support des
règles d'un système juridique, les choses ont une existence objective qui les rend
résistantes aux altérations du droit »175. Le critère de distinction de ces deux types
de biens serait donc celui de l'autonomie dont ils bénéficient vis-à-vis du système
juridique. L'on pourrait contester ce critère. De fait, les choses incorporelles sont
également liées au monde juridique puisque toute chose, matérielle ou immatérielle, a besoin de la reconnaissance du système juridique pour que les individus
puissent en jouir de manière exclusive176. C'est d'ailleurs cette reconnaissance qui
« transforme » les choses en biens177.
Mais précisément, ce qui différencie les droits des choses incorporelles est
que ces dernières n'ont pas besoin du système juridique pour « exister », pour être
« créées »178. Comme le relève Monsieur Kilgus, l'éventuel refus d'un brevet ou la
censure d'une œuvre n'entraînent pas leur disparition du monde réel. C'est donc
que ces choses existent en elles-mêmes, indépendamment du système juridique
qui choisit, ou non, de les reconnaître. Inversement, « si le créancier ne se voyait
plus reconnaître le moyen d'exiger en justice le paiement, son titre ne vaudrait
plus rien »179. Contrairement aux choses incorporelles, les droits patrimoniaux
sont donc des « objets purement juridiques, qui n'ont aucune contrepartie dans le
monde réel, et qui s'évanouissent dès lors que le système juridique défaille »180.
Le critère de distinction entre ces deux catégories peut également être exprimé
par la différence de « valeur » existant entre elles. Un auteur relève ainsi qu'il
existe « dans le monde réel des choses qui jouissent d'une valeur intrinsèque, indépendamment de l'intervention du droit objectif : immeubles, créations de l'esprit,
idées... À l'inverse, certaines choses du monde réel paraissent dépourvues de
valeur intrinsèque : c'est le cas des créances ; elles ne jouissent d'une valeur qu'à
travers la protection juridique que le droit objectif leur confère »181. Là encore, se
173. F. ZÉNATI-CASTAING et Th. REVET, Les biens, op. cit., n° 53, p. 99.
174. F. DANOS, Propriété, possession et opposabilité, Préf. L. Aynès, Economica, coll. Recherches
juridiques, 2007, n° 99, p. 107.
175. R. LIBCHABER, Rép. civ., V° « Biens », n° 27.
176. N. KILGUS, L'usufruit des biens incorporels : contribution à la nature juridique de l'usufruit,
thèse Strasbourg, 2016, n° 8, p. 28, qui à propos des choses incorporelles écrit que « si les individus y
trouvent un intérêt, il est nécessaire qu'ils sollicitent le droit afin que soit consacrée leur privatisation ».
177. J. ROCHFELD, Les grandes notions du droit privé, 2e éd., Paris, PUF., 2013, p. 214 : « Il ne
suffit pas à une personne d'avoir sous son emprise matérielle une chose pour que la qualification de
bien s'applique : il faut que le droit lui reconnaisse la prérogative de disposer juridiquement de cette
chose, de se l'approprier de façon « privative » ».
178. N. KILGUS, L'usufruit des biens incorporels, thèse préc., n° 8, p. 28.
179. N. KILGUS, Ibid.
180. R. LIBCHABER, Rép. civ., V° « Biens », n° 46.
181. T. LAKSSIMI, La summa divisio des droits réels et des droits personnels, préf. Ph. Jacques,
Paris, Dalloz, 2016, n° 297, 226.

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