Bibliothèque de droit privé - Tome 601 - Le consentement de la personne morale - 234

218

LE CONSENTEMENT DE LA PERSONNE MORALE

« inédit »110, M. Jacques Mestre apporte des observations favorables à cette solution qu'il considère « logique »111. Il écrit ainsi que « le consentement de l'organe,
c'est celui de la personne morale elle-même »112. Et l'auteur de poursuivre : « L'on
conçoit ainsi qu'un dirigeant chétif et inexpérimenté donne, en contractant au
nom de sa société, un consentement juridiquement moins sûr qu'un autre, large
d'épaules et rompu aux affaires »113.
De prime abord, l'arrêt paraît équitable : invalider un engagement arraché à
la société par l'effet d'une contrainte illégitime exercée sur ses dirigeants n'est que
justice. Pour autant, le bien-fondé de la solution en droit et, partant, l'opportunité
de sa généralisation à tous les vices du consentement de la personne morale,
peuvent être mis en doute. Tout d'abord, admettre qu'une personne morale
-  c'est-à-dire une abstraction pure  - « puisse avoir peur, être impressionnée »114
ne manque pas de susciter une certaine perplexité. Quant à l'affirmation selon
laquelle le consentement de la personne morale doit être intégralement apprécié à
travers la volonté des dirigeants (qualifiés en l'espèce de « représentants légaux »
par la chambre sociale), elle fait montre d'anachronisme en renouant avec la théorie de l'organe, dont le droit civil contemporain semble pourtant s'être éloigné.
352.  Dans le sillage de l'arrêt du 8  novembre 1984, quelques décisions
empruntent la même logique anthropomorphique. Pour exemple, un arrêt de la
Cour d'appel de Paris a considéré que le consentement d'une société à un contrat
de partenariat pour la création d'un institut d'hygiène du corps avait été vicié par
erreur115. Dans cette affaire, le contrat de partenariat n'avait pas donné les résultats escomptés et la gérante arguait un vice du consentement. Les juges d'appel
avaient alors affirmé que « le vice du consentement doit s'apprécier en la personne du représentant » de la société. La récurrence du biais anthropomorphique
de l'appréciation du consentement de la personne morale se constate à nouveau116.
Il en est de même lorsque la Cour de cassation juge que la qualité d'emprunteur
averti d'une société repose sur les compétences de son dirigeant117.
353.  Cette prise en compte de la volonté du représentant de la personne
morale demeure si prégnante en jurisprudence que certaines décisions apparaissent
comme franchement bancales. Une parfaite illustration en est donnée par un arrêt
rendu le 11 juillet 2006118 par la chambre commerciale de la Cour de cassation. Une
société invoquait la nullité d'un prêt qu'elle avait souscrit au motif que son consentement aurait été vicié par dol et violence de la part de l'établissement de crédit. Sa
demande avait été rejetée en appel. Le pourvoi qu'elle forma devant la Cour de
110. J. MESTRE, obs. préc.
111. Ibid.
112. Ibid.
113. Ibid.
114. V. WESTER-OUISSE, « La jurisprudence et les personnes morales : du propre de l'Homme
aux Droits de l'Homme », JCP G, 2009, I, 121.
115. CA Paris, 10 sept. 2009, n° 06/18863.
116. F.-X. LUCAS, note préc. : « La personnalité morale a beau être une fiction et une victoire
de la technique juridique sur la nature, il n'en est pas moins vrai que la personnalité juridique que l'on
reconnaît à certains groupements conduit inévitablement à l'anthropomorphisme ».
117. Cass.  3e civ., 19  sept.  2019, n°  18-15.398, publié au Bulletin ; Cass.  com., 13  mai 2014,
n° 12-26948, Banque et Droit, nov. 2014, n° 158, p. 23, note H. HELLERINGER ; Gaz. Pal., juill.
2014, n° 203, p. 18, note B. BURY ; BJS, juill. 2014, p. 457, note F.-X. LUCAS ; RTDI, juill. 2014,
n° 3, p. 27, note T. FAVARIO.
118. Cass. com., 11 juill. 2006, n° 05-14406.

978-2-275-07313-2__DOCFILE__978-2-275-07313-2_corpus.indd 218

20/04/2020 12:09:47
Bibliothèque de droit privé - Tome 601 - Le consentement de la personne morale

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit privé - Tome 601 - Le consentement de la personne morale
