Bibliothèque de droit privé - Tome 601 - Le consentement de la personne morale - 33

INTRODUCTION

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morale, à l'image de l'être humain, est un être doté d'une conscience et d'une volonté
propres, qui transcenderaient la volonté, individuelle ou collective, des personnes
physiques qui la composent »108. Notons toutefois que postuler l'existence d'une
volonté propre de la personne morale ne fait pas l'unanimité. Citons pour exemple
Mme Véronique Wester-Ouisse qui pourfend sévèrement ces « personnalités morales,
décrites communément comme des Personnes dotées d'un intérêt propre, qui
auraient leurs propres responsabilités, leurs propres comportements ou capacités
décisionnaires, les êtres humains y participant demeurant impuissants et soumis à
leurs lois »109. Dans cette perspective, la fiction juridique produirait une déresponsabilisation des personnes physiques par instrumentalisation de la personnalité morale.
Les implications éthiques et politiques de la fiction juridique se trouvent ici mises en
question tout comme, en amont, le choix qui fut fait de créer cette fiction.
Fondamentalement, le consentement de la personne morale, et avec lui la
volonté de la personne morale, s'inscrivent pleinement dans le débat relatif aux
limites de la fiction110, l'extension du domaine du possible offerte par les fictions
juridiques n'étant pas sans bornes111. M. Jean-Louis Bergel met en garde contre
les dangers d'une utilisation outrancière des fictions : « Si les fictions sont précieuses, elles sont aussi dangereuses car elles peuvent aboutir, par voies de déduction, d'extrapolation ou de déformation à des résultats inadmissibles. Ce risque
est particulièrement grand dès que les fictions s'appuient sur des considérations
de politique juridique dont la fluidité et l'arbitraire peuvent entraîner de graves
débordements »112. Évaluer si une fiction juridique apporte, dans les situations et
rapports régis par le droit, un surcroît de justice, de cohérence, de rationalité, permettrait donc de juger le caractère légitime ou non de cette fiction.
22.  Si l'institution des personnes morales imposait déjà d'opérer un écart
important avec l'ordre mondain, le consentement de la personne morale vient
ajouter de la fiction à la fiction, c'est une fiction dans la fiction, comme l'est aussi,
par exemple, la responsabilité pénale des personnes morales. Or, la reconnaissance
d'une responsabilité pénale des personnes morales, généralisée par une loi du
9 mars 2004113 avait fait l'objet de nombreuses critiques, précisément parce qu'aucune volonté propre ne pouvait venir justifier l'intentionnalité de l'acte incriminé114. C'est bien pour les mêmes raisons que le consentement des -personnes
morales pourrait lui aussi se trouver un jour remis en cause. Si, pour l'heure, la
capacité à consentir semble être considérée comme une conséquence naturelle de
108. C. BIQUET, « Les fictions en droit », Rev. dr. ULiège, 2013, p. 41.
109. 
V.  WESTER-OUISSE, « 
Responsabilité pénale des personnes morales et dérives
anthropomorphiques », Revue pénitentiaire et de droit pénal, 2009, n° 1, p. 63.
110. Y. THOMAS, « Les artifices de la vérité en droit commun médiéval », L'Homme, 2005,
n° 175-176, p. 113 : « Sur le terrain de la technique fictionnelle est inlassablement posée la question,
toujours subordonnée à des enjeux très concrets, de la construction du rapport entre droit et nature ».
111. C.  LABRUSSE-RIOU, « L'humain en droit : réalité, fiction, utopie ? », in Vers la fin de
l'homme ?, De Boeck & Larcier, 2006, p. 157 : il « arrive un moment où la fiction bute sur l'impossible
déformation ou négation du réel ».
112. J.-L. BERGEL, « Le rôle des fictions dans le système juridique », Revue de droit de Mc Gill,
1988, p. 362.
113. Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004.
114. C.  HARDOUIN-LE GOFF, « Les fictions en droit pénal », Rev.  droit pénal, janv.  2009,
étude  1 : « En tant qu'être désincarné, une personne morale est incapable de volonté personnelle,
condition que l'on sait pourtant indispensable à la responsabilité pénale. Et d'ailleurs, au-delà, c'est
même toute l'activité délictueuse de l'être moral qui relève de la fiction ». C'est finalement des
considérations d'équité et de justice qui ont contribué à instaurer cette fiction, tant il apparaissait

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