Bibliothèque de droit privé - Tome 603 - La notion de contrat - 346

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LA NOTION DE CONTRAT

551.  Allant encore plus loin, un auteur propose de justifier la révision pour
imprévision - consacrée dans le Code civil par la réforme399 - (sur laquelle, v. infra,
n°  672  et  s.) par l'idée de protection des attentes des contractants400. Avant la
réforme, l'un des obstacles majeurs à la consécration de la révision pour l'imprévision en droit français était l'impossibilité de la faire reposer sur la volonté des
parties, puisqu'il s'agit précisément d'  « imprévision ». D'ailleurs, si la Cour de
cassation a maintenu imperturbablement la même solution pendant cent quarante
ans malgré les critiques de plus en plus vives d'une partie de la doctrine, c'est probablement par préférence pour le « sur-mesure » permis par l'arrêt Canal de
-Craponne401, considérant qu'il revient aux contractants eux-mêmes de se prendre
en charge et de mettre en place au sein de leur contrat les moyens juridiques qui
permettront son adaptation402, conformément à l'idée selon laquelle « contracter,
c'est prévoir »403. Au contraire, la prise en compte de l'imprévision serait nécessaire
à la protection des attentes des contractants. C'est bien l'idée sous-jacente à la
théorie anglaise de la frustration404, qui définit l'événement imprévu (unexpected
event) susceptible de faire jouer cette théorie comme celui « qui change la nature
des droits et obligations principaux des parties par rapport à ce qu'elles avaient pu
raisonnablement prévoir, à tel point qu'il serait injuste de les tenir obligées de se
conformer au sens littéral de leur contrat »405. C'est d'ailleurs au nom de la bonne
foi que les opposants à l'arrêt Canal de Craponne avaient salué l'arrêt Huard406,
M. Mestre ayant même clôturé ses observations à la Revue trimestrielle de droit
civil par la formule suivante : « sous l'égide de cette bonne foi très conquérante, la
voie de la révision du contrat pour imprévision est [...] maintenant dégagée »407.
Semblablement, c'est sur le concept de bonne foi que la théorie de l'imprévision a
été initialement développée par la jurisprudence allemande. C'est d'abord pour
faire face aux perturbations qui déséquilibraient profondément les contrats à la
399. Si la Cour de cassation n'a pas suivi les admonestations de certains l'incitant à « os[er]
revirer » (D. Mazeaud, « La révision du contrat », LPA 30 juin 2005, n°129, p. 4 et s.), c'est à la voie
législative qu'il a fallu recourir pour faire tomber l'arrêt Canal de Craponne, le Gouvernement ayant
reçu habilitation législative pour « consacr[er] la possibilité pour [les parties] d'adapter leur contrat en
cas de changement imprévisible de circonstances » (article 8, 6°, de la loi n° 2015-177 du 16 février
2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de
la justice et des affaires intérieures). C'est ainsi que l'ordonnance portant réforme du droit des contrats
a créé dans le Code civil un nouvel article 1195 qui confère au juge un pouvoir de résolution ou de
révision pour imprévision. Évidemment, tous ne sont pas d'accord, et le Sénat a voté, lors des deux
lectures de la loi de ratification de l'ordonnance, un amendement tendant à supprimer le pouvoir de
révision du juge. Il n'a toutefois pas été repris par la commission mixte paritaire, l'Assemblée nationale
et le Gouvernement tenant fermement au pouvoir de révision du juge.
400. P. Lokiec, « Le droit des contrats et la protection des attentes », art. préc., p. 326.
401. Cass. civ., 6 mars 1876, GAJC, t. 2., op. cit., n° 165.
402. Aussi peut-on considérer que, dans un système où les clauses visant à l'adaptation sont
quasiment devenues de style, le silence gardé par les parties vaut acceptation des risques même
imprévisibles.
403. H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette, F. Chénedé, GAJC, t. 2., op. cit., n° 165, spéc. p. 181.
404. Étant entendu que la Common law, si elle ne connaît pas une solution analogue à celle du
Canal de Craponne, n'en est pas moins résolument hostile à la révision judiciaire du contrat. V. en
dernier lieu, Y.-M. Laithier, « L'incidence de la crise économique sur le contrat dans les droits de
common law », art. préc. ; Adde : J. Cartwright, Contract law, op. cit., p. 235 et s.
405. Lord Simon, in National Carriers Ltd v.  Panalpina Ltd, [1981] AC 675-700, cité par
P. Lokiec, « Le droit des contrats et la protection des attentes », préc., p. 326 ; Adde : G.H. Treitel, The
law of contracts, op. cit., n° 19-005, p. 922..
406. Cass.  com., 3  novembre 1992, JCP  1993. II.  22164, note Virassamy, CCC  1993, n°45,
RTD Civ. 1993. 124, obs. J. Mestre.
407. J. Mestre, obs. ss. Cass. com., 3 novembre 1992, préc., RTD Civ. 1993. 127.

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