Bibliothèque de droit privé - Tome 603 - La notion de contrat - 412

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LA NOTION DE CONTRAT

indifférent, à tel point que même la volonté opposée (celle formellement exprimée
en l'espèce consistant à placer l'engagement en dehors du droit) est sans incidence
sur sa force juridique426. Au-delà de la volonté des parties, la notion d'intérêt est
donc un instrument au service d'un contrôle objectif. Elle est aussi l'outil qui permet de colorer l'accord de volonté des parties d'un élément objectif.
2.	 L'intérêt, transmutation objective des volontés subjectives
660.  On a pu écrire à propos de l'intérêt qu'« au moment où il est intégré au
champ de la cause, il change de nature. De l'état de simple donnée psychologique,
il se mue en une donnée juridique et s'inscrit au sein du contrat comme le droit
d'exiger la contrepartie convenue »427. Plus précisément, disons que, grâce au
filtre de l'intérêt, on ne va retenir de la volonté -  simple donnée psychologique et
qui reste purement subjective, même si l'on considère la volonté exprimée plutôt
que la volonté interne - qu'une donnée juridique. L'intérêt est donc un filtre en
matière contractuelle  - « l'homme n'a pas le droit de vouloir n'importe quoi et
dans n'importe quel dessein, mais celui seulement de vouloir la satisfaction d'intérêts légitimes »428 -, comme il l'est en matière délictuelle - le préjudice étant défini
comme la lésion d'un intérêt juridiquement protégé429, sa reconnaissance implique
également un jugement de valeur porté par le système juridique430. L'approche
renouvelée de la volonté avait déjà permis d'instiller un premier tempérament à la
volonté, en autorisant l'interprète à se détacher de la psychologie interne à l'une
des parties, pour appréhender le message véhiculé du point de vue de l'autre partie (v. supra, n° 481 et s.). Mais la volonté restait néanmoins une notion subjective,
du point de vue de chacune des parties concernées. En effet la volonté, même
« externe » ou « juridique », est trop empreinte de subjectivisme et subit les aléas
inhérents à l'expression du for interne, mis en exergue notamment par les théories
du langage. À l'inverse, l'intérêt permet d'objectiviser la volonté : l'intérêt, nous
enseigne Hauser, « c'est finalement la projection objective de la volonté à travers
le prisme déformant du milieu objectif qui s'y intègre, la transforme, est transformé par elle ; l'intérêt n'est finalement qu'une « sphère d'équilibre » à contenu
variable dans certaines limites »431. De plus, comme l'indique M. Philippe Jacques,
après avoir examiné les termes de l'accord (J. Cartwright, Contract law, op. cit., pp.140-141). Si un accord
stipule clairement que les parties ont entendu le soustraire au droit, les juges anglais auront tendance,
beaucoup plus que les juges français, à respecter une telle clause (Rose & Frank Co J R Crompton & Bros
Ltd [1925] A. C.  445  ; [1923] 2 K.B. 261). Une seule clause peut toutefois ne pas suffire à priver de
sanction judiciaire un contrat, s'il ressort de l'ensemble de l'acte que les parties avaient l'intention de
créer des effets juridiques (par exemple, à propos d'une clause d'arbitrage, Home Insurance Co
v. Administratia Asigurarilor [1983] 2 Lloyd's Rep. 674 à 677). De manière plus anecdotique, les juges
anglais ont également pu estimer que faisait défaut l'intention de se lier juridiquement dans une affaire
où le dirigeant d'une société, après une réunion pour le moins houleuse, avait promis de rembourser une
certaine somme sous le coup de la colère (Licenses Ins Corp v Lawson (1986) 12 T.L.R. 501). Pour les
références citées, v. G.H. Treitel, The Law of Contract, op. cit. n° 4-001 et s., p. 171 et s.
426. Y.-M. Laithier, « La distinction entre morale et droit ou l'incertitude parmi les sources de
l'obligation », art. préc.
427. S. Lequette, thèse préc., n° 64, p. 52.
428. J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, Droit civil, Les obligations, t. I, op. cit., n° 107, p. 93.
429. Ou, comme le propose le projet de loi relatif à la responsabilité civile présenté par le Garde
des Sceaux le 13  avril 2017, comme « la lésion d'un intérêt licite, patrimonial ou extrapatrimonial,
individuel ou collectif » (article 1235).
430. J.-S. Borghetti, « Les intérêts protégés et l'étendue des préjudices réparables en droit de la
responsabilité civile », in Études offertes à Geneviève Viney, op. cit., p. 145 et s.
431. J. Hauser, thèse préc., n° 34, p. 45.

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