Bibliothèque de droit privé - Tome 603 - La notion de contrat - 496

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LA NOTION DE CONTRAT

2.	 Les critiques du dépeçage en droit international privé
802.  Comme le disait Batiffol, « permettre aux parties de se référer à plusieurs lois dans des matières réglées impérativement par celles-ci revient à considérer qu'il n'y a plus que des clauses contractuelles, et non plus une loi à laquelle
le contrat est soumis »35. Et même si l'on n'y est pas farouchement opposé par
principe, à l'instar de M. Paul Lagarde, encore faut-il pratiquer le dépeçage du
contrat avec mesure et cohérence, faute de quoi le contrat risquerait de devenir un
« pot-pourri juridique »36. L'évolution de la jurisprudence suisse sur ce point
illustre les dérives du dépeçage du contrat.  À la fin du XIXe  et au début du
XXe siècles, le dépeçage du contrat était courant en matière de droit international
privé en Allemagne et en Suisse37. Sous l'influence de Savigny, on prêtait attention
à chacune des obligations prises individuellement (pour en déduire la loi applicable  : celle du lieu du domicile du débiteur), plutôt qu'au contrat dans son
ensemble. C'est ce que l'on appelait la « petite coupure ». Et ce, même dans les
contrats synallagmatiques, ce qui pouvait conduire à des résultats absurdes.
Résultats d'autant plus absurdes que le droit international privé suisse retenait, en
plus de cette « petite coupure », une « grande coupure », consistant à soumettre
les questions de la formation du contrat et celles de ses effets à des lois différentes.
En combinant la grande et la petite coupures, on pouvait ainsi aboutir à un
contrat écartelé entre plusieurs lois. Prenons l'exemple d'un contrat de vente
conclu en France par un vendeur suisse et un acheteur espagnol, prévoyant la
livraison des marchandises en Espagne, sans choix de loi applicable. Les tribunaux suisses, jusque dans les années 1920, auraient soumis un tel contrat à l'application distributive de trois lois distinctes : la loi française pour la formation, la loi
suisse pour le prix, et la loi espagnole pour la livraison !
803.  Prenant conscience de ces inconvénients, la jurisprudence suisse apporta
progressivement des palliatifs, jusqu'à considérer définitivement à partir de l'arrêt
Chevalley rendu en 1952 qu'il convenait « d'appliquer une loi unique à toutes les
questions en relation avec la conclusion et les effets du contrat », au nom de « l'unité
du rapport contractuel »38. Cette loi devait être recherchée, non pas dans l'observation de chaque obligation prise ut singuli, mais dans la loi « du lieu avec lequel le
rapport juridique considéré a le lien territorial le plus étroit », sous la réserve de la
désignation de la loi applicable par les parties. Ainsi, s'agissant d'un contrat synallagmatique, c'est « celle des deux obligations qui est caractéristique pour le rapport
juridique en question, par exemple, pour la vente, l'obligation du vendeur »39. Cette
35. H.  Batiffol, Rép. Dr. int. Dalloz, V° « Contrats et conventions », n° 40, cité par P. Lagarde,
« Le « dépeçage » dans le droit international privé des contrats », art. préc., n° 24, p. 670.
36. En ce sens, v. P. Lagarde, « Le « dépeçage » dans le droit international privé des contrats »,
art. préc., n° 22 et 23, pp. 668-669, qui considère que « ce ne peut être un postulat intangible ; tout au
plus une présomption de raison, se suffisant à elle-même dans le doute, mais qui doit pouvoir être
écartée dès lors qu'il existe de bons motifs en ce sens ». Selon lui, il ne doit pas y avoir d'obstacle de
principe à ce que la volonté des parties procède à un dépeçage du contrat. Tout au plus ce dépeçage
doit-il être opéré de manière cohérente. Par exemple, les obligations interdépendantes dans un contrat
synallagmatique devraient selon lui être soumises à une loi unique en droit international privé.
37. Sur toutes ces questions, v. le remarquable exposé de Mme M.-E. Ancel et les références citées
par cet auteur (M.-E. Ancel, thèse préc., n° 24 et s., p. 16 et s.).
38. Arrêt Chevalley, tribunal fédéral suisse 12 février 1952, ATF 78 II 74, Rev crit. DIP 1953.
390, note G. Flattet.
39. Arrêt Sznajer, Tribunal fédéral suisse 11  mai 1966, ATF 92 II 111  ; JdT  1967 I 49  ;
Clunet 1970.418, chron. P. Lalive.

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