Contextes - La norme culturelle dans l'ordre juridique - 18

Les autres

de réfléchir aux motivations de ceux qui pratiquent la bastonnade5 ou qui
« donnent » leur enfant à des membres extérieurs à leur famille6. Rompu
à l'art du syllogisme dès sa première année de droit, le juriste exclura de
son raisonnement ces considérations extra-juridiques, considérées comme
oiseuses. Dans un État de droit, où les règles étatiques occupent la place
majeure, voire exclusive du champ juridique (si l'on s'appelait Kelsen ou
Carré de Malberg), la plupart de ces comportements n'ont assurément
pas lieu d'être. En outre, dans une République indivisible, on n'a que faire
du caractère lointain de certaines terres de la République française où ces
comportements peuvent être constatés, la géographie ne constituant pas
une cause d'exonération. Mais sauf à le réduire au texte de loi, le droit est
avant tout une science sociale avec pour objet le corps social, pour complexe
qu'il soit. Partant, on ne saurait ignorer le fait que les comportements de
l'individu puissent être orientés par d'autres commandements que le droit
étatique, sans quoi l'on ferait fi de l'objet même du droit. Dans ce contexte
d'ouverture d'esprit, le mouvement de psychologisation du droit, que le
droit des personnes et le droit de la responsabilité civile connaissent7, ne
5. En Nouvelle-Calédonie, comme dans tout territoire de la République française, « aucun
texte ne reconnaît aux autorités coutumières une quelconque compétence pour prononcer
et appliquer des sanctions à caractère de punitions, même aux personnes relevant de statut
civil coutumier » (Cass. crim., 10 oct. 2000, n° 00-81959).
6. F. Eudier, « V° adoption - adoption plénière », Rép. Civil Dalloz, oct. 2008, spéc.
n° 246 : « Depuis très longtemps, des familles polynésiennes donnent leurs enfants
en adoption "fa'a'amu". L'adoption traditionnelle en Polynésie illustre une conception
de l'adoption sans abandon : une famille donne la vie, et confie à une autre le soin d'élever
l'enfant ; la conception du don d'enfant en vue de l'adoption est exclusive de la culpabilité,
du secret et de l'anonymat ».
7. L'individu peut modifier son nom (l'article 61 du Code civil énonce en son alinéa 1er que
« toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom »), son
prénom (toujours sous la condition de « l'intérêt légitime », la procédure relève de l'article 60
du Code civil et a même été déjudiciarisée par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016
de modernisation de la justice du xxie siècle) et le sexe inscrit dans les actes de l'état civil
(l'article 61-5 du Code civil prévoit désormais que « toute personne majeure ou mineure
émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son
sexe dans les actes de l'état civil ne correspond pas au sexe dans lequel elle se présente et
dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification »). On s'est même demandé
s'il ne pourra pas un jour modifier son âge (N. Molfessis, « L'âge de ses artères », JCP G,
11 février 2019, 125 : « Notre Néerlandais (...) se sentait jeune, même s'il avait déjà fêté
69 fois son anniversaire. (...) Persuadé que son apparence physique comme son état de
santé avaient résisté à l'alternance des saisons, il prétendait avoir 49 ans. Prêt à fêter, une
deuxième fois, son demi-siècle, en pleine force de l'âge. Son médecin lui-même en attestait,
analyses à l'appui. Aussi demandait-il que l'administration fasse reculer son âge en changeant
sa date de naissance : "les transgenres, expliquait-il, peuvent maintenant changer de genre
sur leur état civil, aussi, dans le même esprit, on pourrait faire quelque chose pour changer
d'âge" »). S'agissant de la psychologisation du droit de la responsabilité civile, v. du même
auteur, « La psychologisation du dommage », Quel avenir pour la responsabilité civile ?,
(dir. Y. Lequette et N. Molfessis) Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2015, p. 39 et s.

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