Contextes - La norme culturelle dans l'ordre juridique - 205

Sandrine sana-chaillé de néré 197

de la Constitution, toutes ces personnes conservent leur statut personnel
tant qu'elles n'y ont pas renoncé. En d'autres termes, la loi constitutionnelle
française leur reconnaît le droit d'être régies par une autre loi que celle de
l'État, en l'occurrence par des normes coutumières qui sont l'expression
directe de leur culture. Cette faculté est d'ailleurs garantie par les juridictions étatiques qui statuent en « formation coutumière »39 lorsque les
litiges s'élèvent entre personnes relevant toutes du statut coutumier. La
norme culturelle a donc ici une place considérable puisqu'elle se substitue
à la norme étatique pour toutes les questions relevant de la matière civile.
Qu'il s'agisse donc des éléments de l'identification individuelle comme
le domicile ou le nom patronymique, qu'il s'agisse de la détermination
de la capacité juridique, de l'établissement ou des effets de la filiation,
des règles relatives au mariage ou celles déterminant les conditions de sa
dissolution, qu'il s'agisse encore des relations contractuelles, de la réparation des dommages, des successions ou encore des relations juridiques
relatives aux biens, toutes ces questions relèvent de la norme coutumière40.
C'est ainsi que la capacité juridique ne se détermine pas nécessairement
en fonction de l'âge mais plus sûrement en vertu de l'accomplissement
de certains rites initiatiques. C'est ainsi que la réparation d'un dommage
donnera lieu à la réalisation d'une coutume de pardon plutôt qu'à l'octroi
d'une indemnité pécuniaire41. Mais c'est aussi pour cette raison que, en
contradiction nette avec les principes du droit civil de l'État, un mariage ne
pourra être dissout qu'avec l'accord des clans auxquels appartiennent les
époux42, que la recherche génétique d'une paternité ne pourra contredire
une filiation établie par des paroles et des gestes coutumiers43 ou qu'une
succession sera valablement dévolue sur des critères de masculinité ou de
al. 3. Mais Mayotte s'est engagée dans un processus de départementalisation qui se paie
de l'abandon progressif du statut personnel particulier. Le processus a été initié par la loi
n° 2001-616 du 11 juill. 2001 donnant à Mayotte le statut de collectivité départementale,
puis précisé et complété par les lois organiques n° 2010-1486 et ordinaire n° 2010-1487 du
7 décembre 2010. La disparition programmée du statut personnel résulte de l'ordonnance
n° 2002-1476 du 19 décembre 2002 qui étend à Mayotte toutes les dispositions du Code civil.
39. Cette formation unique dans l'ordre juridictionnel français a été initiée par l'ordonnance n° 82-877 du 15 octobre 1982. Il s'agit d'une composition spéciale des juridictions
civiles où siègent un magistrat professionnel et des assesseurs coutumiers représentant les
huit aires coutumières que compte la Nouvelle-Calédonie.
40. Voir, en ce sens, les deux avis émis par la Cour de cassation sur le champ couvert par la
coutume : Avis n° 005 0011 du 16 mars 2005 : RJPENC n° 7, 2006, note P. Frezet ; RTD civ.,
2006, p. 516, obs. P. Deumier et Avis n° 007 0001 du 15 janvier 2007 : RJPENC n° 9, 2007,
note L. Sermet ; Droit et Cultures, n° 54, 2007, note P. Frezet.
41. S. Lebègue, Coutume kanak, Au vent des îles, 2016.
42. En application de la coutume : CA Nouméa, Ch. cout., 30 oct. 2014, n° RG 13/225.
43. Trib. 1re inst. Nouméa, formation coutumière, 21 févr. 2011. Décision commentée par
S. Sana-Chaillé de Néré, Miroir d'outre-mer : la famille, le droit civil et la Coutume kanak,
in M. J. Hauser, Dalloz, 2012, p. 655.

Contextes - La norme culturelle dans l'ordre juridique

Table des matières de la publication Contextes - La norme culturelle dans l'ordre juridique