Contextes - La norme culturelle dans l'ordre juridique - 21

	

Youssef guenzoui	13

y avoir croyance. L'exigence de cette croyance pour caractériser la culture
bute toutefois sur son immatérialité. Pour prouver l'existence d'une norme
culturelle, comment alors sonder les cœurs et les reins ?
Pour ce faire, on peut exploiter les précieux outils de la sociologie juridique, et précisément les sondages. Pour que l'existence de la culture soit
vérifiable, que sa trace soit perceptible, on a parfois recours à ces techniques de calcul. Ainsi en a-t‑il été de l'attachement d'un groupe social à
la pratique des corridas17 ; de la même manière, les partisans du droit spécifique de l'Alsace-Moselle ont été recensés18. Il s'agit donc de compter ceux
qui sont attachés à une pratique culturelle. C'est, autrement dit, vérifier
que l'opinio juris existe bien au sein du groupe social, pour considérer qu'il
s'agit d'une tradition culturelle, même si ces seuls outils ne sont évidemment pas suffisants19. Aussi immatérielle que soit la culture, l'obstacle de
son identification n'est donc pas insurmontable.
Mais pour donner une place à la norme culturelle au sein de l'ordre juridique, l'identification de cette norme n'est que le début. Il faut maintenant
qu'elle affronte la norme étatique, caractérisée par une opiniâtreté tenace
et une grande estime de soi. Car même si l'ordre juridique ne saurait être
réduit au droit étatique20, une place majeure (grandissante ?21) est attribuée
à ce droit. Dès lors, même s'il est concurrencé par des normes culturelles
qui le défient (I), le droit étatique ripostera (II), en affirmant une préséance
souveraine qu'il est urgent d'éprouver (III).
17. P. Deumier, RTD civ. 2007, p. 57 : « Puisque les juges parviennent ainsi à toutes les
conclusions en invoquant un prétendu sondage des esprits collectifs, les associations eurent
l'idée de se prévaloir d'un sondage véritable, organisé dans l'ensemble démographique
toulousain ».
18. RDL 1996, n° 17, p. 15.
19. Ils peuvent être complétés par des outils ethnologiques et ethnographiques.
V. G. Nicolau, G. Pignarre, R. Lafargue, Ethnologie juridique, Dalloz, coll. Méthodes du
droit, 2007. V. également S. Blanchy et Y. Moatty, « Le statut civil de droit local à Mayotte :
une imposture ? », Droit & société 2012-1, n° 80, p. 117 s. L'article « s'appuie sur des enquêtes
ethnographiques menées au sein de la population entre 1980 et 2010, considérant le droit
tel qu'il est compris par les personnes et les familles, tel qu'il est appliqué par les cadis et
par les juges de droit français ; il s'appuie aussi sur la pratique effective du droit des affaires
familiales au tribunal de première instance entre 2001 et 2010, et enfin sur des textes : archives
des cadis, lois et décrets métropolitains, archives judiciaires ».
20. On pourrait considérer que l'ordre juridique regroupe tous les ordres normatifs,
tous les « devoir-être », l'ordre étatique étant un ordre normatif parmi d'autres. Comp.
Ch. Leben, « De quelques doctrines de l'ordre juridique », Droits 2001, n° 33, p. 19 et s.,
spéc. p. 20. Comp. également D. Villegas, L'ordre juridique mafieux, Dalloz, coll. Nouvelle
bibliothèque de thèses, 2018.
21. J. Chevallier, « L'ordre juridique », in Le droit en procès, J. Chevallier, D. Lochak,
R. Draï, A. Kremer-Marietti, P. Dupire, D. Bourcier, S. Bruxelles, A. Fenet, C.-H. Thuan
et D. Rasy (dir.), PUF, Paris, 1983, CURAPP, p. 7 et s., spéc. p. 36 : « on peut se demander
si (...) on ne parviendra pas à une juridicisation intégrale de l'ordre social, et à une utilisation
exclusive du registre du droit pour modeler les comportements sociaux ».
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