Contextes - La norme culturelle dans l'ordre juridique - 241

	

Philippe guez	233

étrangère ne permettant pas l'établissement de la filiation naturelle n'était
pas, en elle-même, contraire à l'ordre public international »101. Puis, elle
s'est fondée sur l'ordre public de proximité pour écarter la loi étrangère
prohibitive si elle a « pour effet de priver un enfant français ou résidant
habituellement en France du droit d'établir sa filiation102. La solution se
veut équilibrée. Elle ne fustige pas les droits étrangers qui refusent l'établissement forcé de la paternité hors mariage. Ce n'est que lorsque la situation
présente des liens avec la France que l'ordre public fait preuve de sévérité
à l'encontre du droit étranger. Le déclenchement de l'ordre public s'opère
ainsi à géométrie variable. On remarquera qu'en l'occurrence, l'ordre public
de proximité n'est pas utilisé pour appréhender une situation juridique
créée à l'étranger (comme c'est le cas, par exemple, en matière de répudiation), mais à l'occasion de la création d'une situation juridique en France,
là où ordinairement joue l'ordre public plein. Il s'ensuit une transformation
de l'ordre public qui ne fait plus de la protection des valeurs du for une
fin en soi lorsque la situation ne présente pas de liens suffisants avec la
France103. Cette position est source de discrimination lorsque l'action est
intentée en France par un enfant étranger ayant sa résidence habituelle à
l'étranger, comme l'a montré un arrêt rendu le 10 mai 2006104. En effet, si
l'ordre public ne peut jouer faute de proximité avec le for, aucun obstacle
ne se dresse alors contre de l'application de la loi étrangère prohibitive.
Une partie de la doctrine a pu mettre en doute l'intérêt de l'enfant « à se
prévaloir d'un lien de filiation qui ne serait pas reconnu dans [son] pays
d'origine »105. Pourtant, si une action est introduite en France, c'est bien
souvent parce que le défendeur est Français (ou, à tout le moins, parce
qu'il réside en France). La situation présente donc des attaches avec la
France, même si elles ne sont pas prises en compte pour déclencher l'ordre
public106. En se voyant néanmoins interdire d'agir, l'enfant se trouve privé
J. Ouhida (dir.), Le Dahir sur la condition civile des français et des étrangers au Maroc après
plus de cent ans d'application, éd. Cham's, Rabat, 2019, p. 176.
101. Cass. 1re civ., 3 nov. 1988 : Rev. crit. DIP 1988, p. 495, note J. Foyer.
102. Cass. 1re civ., 10 févr. 1993, n° 89-21997 : Rev. crit. DIP 1993, p. 620, note J. Foyer ;
JDI 1994, p. 124, note I. Barrière-Brousse ; JCP G 1993, I, 3688, obs. H. Fulchiron ; D. 1994,
jur. p. 66, note J. Massip.
103. L. Gannagé, « L'ordre public international à l'épreuve du relativisme des valeurs »,
préc., n° 32.
104. Cass. 1re civ., 10 mai 2006, n° 05-10299 : D. 2006, p. 2890, note G. Kessler et G. Salamé
et 2007, p. 1751, obs. P. Courbe ; JCP G 2006, II, 1165, note T. Azzi et 2007, I, 109, note
L. Corbion ; Dr. fam. 2006, p. 33, note M. Farge ; AJ fam. 2006, p. 290, obs. A. Boiché ;
Defrénois 15 sept. 2006, n° 17, p. 1327, obs. J. Massip.
105. M.-C. Najm, Principes directeurs de droit international privé et conflit de civilisation.
Relations entre systèmes laïques et systèmes religieux, préc., n° 504.
106. Conscient de cette difficulté, M. P. Lagarde estime que « si l'on veut garder la solution de l'arrêt du 10 février 1993, il faudrait à tout le moins en compléter la rédaction en
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