Contextes - La norme culturelle dans l'ordre juridique - 31

	

Youssef guenzoui	23

cyclique58, comme si l'histoire devait sans cesse recommencer. Face à la
norme culturelle autre, le droit étatique va donc affirmer sa préséance en
imposant... sa propre culture.

III - PRÉSÉANCE
Qu'un droit étatique soit culturellement situé et orienté n'étonne pas :
le droit est la manifestation d'une culture, ce qui n'est pas sans rappeler le
concept d'« hégémonie culturelle » tel qu'élaboré par Gramsci59. La codification, dans sa dimension la plus noble60, est même présentée comme un
projet politique, « dans la capacité qu'elle a démontrée de rénover le droit
d'une société en y exprimant les valeurs de son temps »61. Le droit, via le
législateur, « apparaît (...) comme une conception de la vie sociale »62. Parce
que le droit a vocation à orienter le comportement de l'individu, il va donc
diffuser un modèle de représentation. Pour l'ordre étatique, l'entreprise
consiste donc à introduire au sein du corps social un modèle de comportement bien défini pour l'orienter dans ses actions, ses pensées et dans
son mode de vie. Armé de la coercition légitime, l'État n'a a priori aucune
difficulté à inoculer ces règles pour dompter les individus. Mieux : en plus de
cette direction prônée, le Code civil imposerait également une « normalité
dogmatique »63. Il parviendrait à pénétrer l'inconscient du sujet de droit
est d'une race inférieure à l'Allemand. Depuis ce temps, je l'avoue, j'y regarde à deux fois
avant de me retourner vers un homme et vers une civilisation et de prononcer : homme ou
civilisation inférieure ! ».
58. J. Carbonnier, Sociologie juridique, 2e éd., PUF, Paris, 2008, p. 351.
59. Gramsci et le bloc historique, Ed. G. Grés, 1972 ; « Gramsci et la question religieuse »,
Archives de sciences sociales des religions, 1974. Comp. P. Avril, « Hégémonie culturelle de l'État de droit », in Mélanges Hugues Portelli, Dalloz, 2018, p. 7 et s., spéc. p. 10 :
« L'hégémonie culturelle, on le sait, désigne la domination sur l'opinion qui s'établit et se
maintient par la diffusion de certaines valeurs et de représentations qui conquièrent peu à
peu les esprits et obtiennent l'adhésion quasi générale ».
60. La codification à droit constant n'ayant pas ce prestige, comme en témoigne le dessaisissement quasi-systématique du Parlement, au détriment du gouvernement, de cette tâche
quelque peu ingrate...
61. G. Cornu, « Codification contemporaine : valeurs et usages », in G. Cornu, L'art du
droit en quête de sagesse, PUF, coll. Doctrine juridique, 1998, spéc. p. 361. Sur le lien entre
codification et nationalisme, v. R. Cabrillac, Les codifications, PUF, coll. Droit, éthique,
société, 2002, spéc. p. 173.
62. J.-L. Aubert, E. Savaux, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil,
17e éd., Sirey, coll. Université, 2018, p. 27.
63. S. Rials, « Les standards, notions critiques du droit », in Ch. Perelman et R. Vander
Elst (dir.), Les notions à contenu variable en droit, Bruylant, Bruxelles, 1984, p. 39 s, spéc.
p. 44 : « la normalité, ce peut être ce qui est statistiquement ou ce qui doit être. À la normalité
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