Contextes - La norme culturelle dans l'ordre juridique - 53

Amir ali 45

en concluant que, relativement aux normes coutumières, « leur extranéité
est culturelle et sociétale »24. Un tel constat ne peut qu'emporter l'adhésion.
Cette conclusion vaut pour tous les statuts personnels et ne se limite
donc pas au seul statut coutumier kanak. Elle se vérifie également à Mayotte
et à Wallis-et-Futuna. Où que l'on regarde, les mêmes justifications, les
mêmes fondements se rencontrent : le fond juridique traditionnel et les
valeurs qui le sous-tendent, qui lui sont propres et consubstantielles, sans
quoi le statut coutumier kanak, le statut personnel wallisien et le statut
personnel mahorais n'existeraient pas25. C'est la reconnaissance même
de l'identité culturelle propre à chacun de ces territoires ultramarins qui
apparaît en filigrane, et se manifeste au premier plan. La démonstration est
faite lorsqu'on s'intéresse au domaine d'application du statut personnel. On
constate que fondamentalement, et bien qu'intégrant le statut des terres,
le statut civil particulier entretient des liens très étroits avec le droit de la
famille et ses sensibilités, lequel se situe d'ailleurs au cœur de la vie privé,
mais également de l'intimité de la personne26. Les valeurs qui en résultent
s'opposent à la conception civiliste et aux principes d'égalité et de liberté
qui la fortifient. De cette différence culturelle entre les statuts personnels
et le statut civil de droit commun est apparu la dualité statutaire, favorisant
ainsi l'émergence ou plutôt la continuation des conflits internes de lois.
Le rattachement se fait d'ailleurs par rapport au statut et s'infère d'un
facteur d'appartenance ethnique ou religieux27, tout en tenant compte de
l'environnement où il a vocation naturellement à se mouvoir. Mme Parisot
l'a d'ailleurs démontré dans ses nombreuses recherches28. La reconnais24. Cass. 1re civ., 1er déc. 2010, op. cit., note S. Sana-Chaillé de Néré.
25. Il ne faut pas oublier que la garantie constitutionnelle des statuts personnels s'inscrit
dans la continuité des pratiques coloniales. Dans les territoires colonisés, se trouvaient
des administrations auxquelles ont été reconnus des pouvoirs permettant d'« imposer à
la colonie un droit propre, censé mieux répondre à ses besoins spécifiques, un droit dit
« colonial » qui, s'il n'est pas exactement celui de la métropole, n'en est pas moins un droit
moderne, élaboré par le colonisateur à partir du modèle qu'il connaît le mieux, le sien, et
dont il ne manque pas de reproduire fidèlement les catégories et les concepts, sinon les
solutions » (X. Blanc-Jouvan, « Du pluralisme à la mixité dans les nouveaux droits africains »,
in Mélanges Camille Jauffret-Spinosi, Dalloz, 2013, p. 129).
26. Mme Ralser nous explique d'ailleurs que relève du statut personnel, « tout ce qui
touche à l'état de la personne, à sa capacité, tout ce qui touche à son identité et à sa situation
familiale, tout ce qui est intimement attaché à l'individu et à ses attributs » (E. Ralser, op. cit.).
27. Ces aspects ont été bien mis en évidence par Norbert Rouland dans une étude intitulée
« Note d'anthropologie juridique : l'inscription juridique des identités », RTD civ. 1994,
p. 287.
28. V. Parisot, note sous Cass. 1re civ., 1er déc. 2010 : RCDIP 2011, p. 611 ; Les conflits
internes de lois, IRJS éditions, 2013 ; « Le pluralisme juridique au sein de la République
française. Invitation au voyage dans les outre-mer », in R. M. Beckmann, H.-P. Mansel,
A. Matusche-Beckmann (dir.), Weitsicht in Versicherung und Wirtschaft. Gedächtnisschrift
für Ulrich Hübner, C. F. Müller, Heidelberg, 2012, p. 746.

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