Clefs - Une société de communication ? - 6e - 122

Une illusion bien fondée

statistiques qui « sondent les profondeurs du social » pour en faciliter
l'organisation. Alain Desrosières (1993) a pu souligner combien la
statistique était, dès sa préhistoire, née d'une « alliance de la science
et de l'État ».

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Le lien étroit entre construction de l'État et centralisation d'une
information fiable sur le corps social concerne d'abord les impératifs
élémentaires de mobilisation des ressources fiscales et de la force
armée. Bodin valorise dès 1576 « les utilités infinies d'un recensement »1, pour la levée d'une armée, ou la perception de l'impôt dans un
système où prédomine la technique fiscale de la capitation. L'État se
constitue aussi comme une machine à centraliser les informations qui
sont utiles aux détenteurs du pouvoir. Un des premiers actes de l'État
staticien concerne le contrôle et la normalisation des registres de l'état
civil (1538 en Angleterre, Édit de Villers-Cotterêts en 1539 pour la
France), puis l'organisation de recensements (1672 à Amsterdam, 1749
en Suède). Au-delà de ces activités de simple dénombrement, l'histoire de l'État producteur et gestionnaire d'information est aussi celle
d'un perfectionnement incessant des instruments étatiques d'écoute
et de radiographie de la société. Les ramifications du processus sont
très variées. Elles passent par la mise sur pied de services officiels de
statistique (dès le xviie en Prusse et dans les États allemands, en 1756
en Suède, en 1833 sur l'initiative de Thiers en France). Elles doivent
aussi à un véritable travail de saisie d'une « opinion publique », avant
même l'apparition du terme au xviiie siècle, dans les rapports que font
remonter les intendants royaux, ou, comme l'a montré Arlette Farge2,
par le travail des « mouches » de la police, recueillant les rumeurs, les
folles paroles et les propos séditieux de la rue sous Louis XV et XVI.
Le processus circulaire de construction d'un savoir statistique par
l'État et de construction de l'État grâce aux savoirs que mobilise la
statistique passe aussi par toute une série de techniques de normalisation des techniques de collecte de l'information dont il a besoin,
d'harmonisation des vecteurs de la communication et de l'échange
en société. On a évoqué le contrôle de l'État civil, mais il s'agit aussi
de l'unification des systèmes de référence en matière de poids et
mesures, de politiques volontaristes - spécialement en France - d'harmonisation linguistique. La Révolution française donnera l'exemple
idéaltypique de ces démarches de standardisation, pour lesquelles
Sieyès proposera le terme d'« adunation ».
1. H. Le Bras, « La statistique générale de la France », Les lieux de
mémoire, Gallimard, 1983, t. 2, vol. 2.
2. Dire et Mal dire : l'opinion publique au xviiie siècle, Seuil, 1990.
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