Clefs - Une société de communication ? - 6e - 16

Introduction

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Contre le point de vue d'Alice pour qui les mots sont assignés à
un sens fixe qu'immobilise le dictionnaire, nous adopterons celui
d'Heumpty-Deumpty, dont l'apparente fantaisie n'est pas sans parenté
avec les acquis des travaux des sociolinguistes tel Bakhtine. Les
mots sont aussi des enjeux sociaux. Lorsqu'un terme est au cœur de
processus sociaux de redéfinition, opter pour la bonne définition amène
à prendre parti dans les jeux de pouvoir et de sens dont il est l'objet.
Or, le choix de recenser des usages sociaux suppose une suspension des
jugements de valeur, un effacement provisoire de l'analyste derrière
l'enregistrement des pratiques sociales. Mais l'adjectif provisoire est
aussi important que le mot effacement. Parce qu'ils manifestent aussi
des évolutions, les constats relatifs aux usages d'un terme ouvrent des
pistes de réflexion. En cherchant à partir à la fois de l'observation des
faits et de celle des discours qui leur donnent sens, la science sociale
ne se résigne pas à une terne fonction de greffier du monde social. Elle
se donne la possibilité d'en produire une interprétation systématique et
rigoureuse parce qu'ancrée dans un travail d'observation et d'objectivation. Elle tente de placer l'explication au bout de l'enquête, et non
de mobiliser des exemples ad hoc pour meubler une thèse préétablie.
C'est à ce principe que ce petit livre demande à être jugé. Si son lecteur
se sentait en le fermant mieux armé pour penser et réagir aux phénomènes désignés sous le label de communication, ce serait alors non
en dépit de l'absence d'une prise de position normative sur la bonne
communication ou le vrai sens du mot, mais pour partie grâce à cette
posture où le refus de légiférer sur les mots et les choses n'est en rien
celle du cynique, étranger aux enjeux de la cité.

Les enjeux d'une exploration
En cherchant à saisir non les façons convenables de parler de
communication, mais les usages contradictoires de ce mot et leur
histoire, le projet de cet ouvrage est vaste. Il consiste à poser comme
autant de fils conducteurs trois questions : Que véhiculent la notion
de « Société de communication » et sa jumelle la « Société de l'information », promues au rang de représentation centrale des sociétés
occidentales dans l'imaginaire social ? Par quelles médiations,
quels déterminismes sociaux cette notion a-t‑elle acquis visibilité et
consolidation ? Enfin, partant de l'idée que les débats sur la communication n'ont pas que des enjeux philologiques, quelles évolutions
des rapports sociaux, quels enjeux de pouvoir sont associés à cette
nouvelle représentation du social ?
Explorer la destinée sociale d'un mot, l'histoire sociale d'une idée,
c'est aussi croiser une foule de recherches et de grandes œuvres où
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