Clefs - Une société de communication ? - 6e - 44

Généalogie du discours communicationnel

Le développement et les changements des réseaux de communication constituent une seconde donnée objective qui devait mettre
à l'ordre du jour un travail d'élaboration théorique, mêlant constat
et prophétie pour associer un sens à ces innovations. Le parti pris
populiculteur de l'ORTF gaulliste proposant de façon volontariste
à un large public l'accès à des œuvres de culture légitime jusque-là
réservées à une élite, l'intégration des programmes et des personnages
du petit écran à la sphère familiale dans un contexte d'augmentation
fulgurante du taux d'équipement des ménages1, la place prise par la
radio dans la couverture à chaud de mai 1968... autant de données
qui érigeaient au rang de « fait de société », justiciable d'un discours
explicatif global, le développement des réseaux de communication.

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Cette sensibilité nouvelle au symbolique et aux enjeux de la
circulation des biens culturels ne peut être dissociée des mutations
morphologiques qui affectent, dans nombre de pays occidentaux, le
système d'enseignement, universitaire en particulier. Le développement de la scolarisation, l'essor des emplois tertiaires contribuent à
favoriser une vision de la société moins centrée sur l'acte de production des biens matériels, plus sensible au poids des services, des
prestations symboliques. L'explosion des effectifs universitaires - en
France le nombre des étudiants en lettres passe de 37 000 en 1951 à
220 000 en 1970, dans le même temps les effectifs enseignants de
ces facultés passent de 700 à 6 000 - dilate la population des récepteurs et diffuseurs potentiels de « nouveautés » en matière de théories
explicatives du monde social. Cette expansion de la population universitaire est aussi génératrice de frustrations et de désillusions. La masse
des emplois disponibles ne suit pas toujours l'essor des populations
diplômées, les emplois offerts ne sont pas toujours conformes aux
attentes, ouverts à la créativité et aux dispositions de leurs occupants. La combinaison entre le sentiment de décalage à une société
figée dans ses conservatismes éthiques, sexuels ou disciplinaires,
l'expérience troublante d'une mobilité sociale subie autant que
convoitée alimentent dispositions hérétiques et discours critiques.
Ceux-ci peuvent prendre la forme d'une réhabilitation de la culture
de masse contre la culture « dominante », d'une sensibilité réactive
qui, partant d'une critique désabusée de l'institution scolaire, affecte
les vecteurs de diffusion des représentations sociales dominantes :
publicité, médias, idéologies politiques. Si l'attention des analystes
de l'année 1968 s'est volontiers fixée sur les renouvellements d'une
1. P. Champagne, « La télévision et son langage », Revue Française de
Sociologie, 1971.
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