Clefs - Une société de communication ? - 6e - 49

Généalogie du discours communicationnel

et démocratiques (wikis, blogs, logiciels libres) qui émanciperont
les usages du Net de l'encombrante tutelle de ce que l'on n'appelait
pas encore les GAFAM. Sans être, on le voit, monolithiques, ces
discours soulignant qu'Internet améliore nos vies et rend le monde
moins inégalitaire ont été les plus audibles jusqu'aux années 2010,
même s'ils s'embarrassaient peu d'observation empirique des inégalités persistantes d'accès, d'usage et d'appropriations des réseaux.
Le potentiel d'émerveillement ou d'espoirs devant les services que
les nouveaux réseaux de communication portent n'a pas tari. Mais un
espace de discours plus critique a pris le pas depuis les années 2010.
Hybrides entre sollicitations de la recherche et alertes civiques, ces
textes peuvent se voir questionner sur leurs flirts avec un parti pris
très alarmiste, une nostalgie latente d'un passé plus brillant de la vie
culturelle et démocratique. Il vaut pourtant la peine d'en lire au moins
un pour s'exposer à leurs mises en garde salubres. Evgeny Morozov
(2011) réduit en miettes l'idée simplette selon laquelle les NTIC
seraient forcément porteuses de liberté. Il souligne la mythification de
révolutions contemporaines nées des réseaux sociaux. Peut-on décrire
comme propulsée par Twitter, la mobilisation post-électorale de 2009
en Iran quand 0,03 % des Iraniens disposaient alors d'un compte sur ce
réseau ? Suffit-il d'être sollicité par une messagerie pour aller manifester là où - dans la Syrie d'Assad - une telle initiative expose à
la torture et à la mort ? Dans un chapitre intitulé « Pourquoi le KGB
aimerait que vous ouvriez un compte Facebook », il montre combien
les régimes les plus répressifs utilisent les réseaux pour traquer les
opposants, savent - comme en Chine - recoloniser l'espace public
virtuel de milliers de blogs et sites favorables au pouvoir. Ciblant
Facebook, Siva Vaidhyanathan (2018) questionne le paradoxe d'un
réseau « anti-social » qui isolerait les individus dans des bulles où
s'associent ceux qui pensent à l'identique, où les algorithmes rendent
peu probable de s'exposer à des informations et points de vue dérangeants. Facebook serait aussi une machine à polariser l'attention, sur
des objets et bavardages souvent légers, avec le double effet de déconnecter du monde réel et d'être l'écluse ouverte à la circulation des
fausses nouvelles et manipulations. Sous l'ingénieux titre « Weapons
of math destruction » Cathy O'Neil1 met à jour les dégâts des usages
des big datas : algorithmes bâtis à coups de préjugés sociaux, logiciels
programmant des horaires insupportables pour minimiser les coûts
de personnel. Trier à coups de big data peut aussi produire des classements délirants, comme celui d'une université saoudienne présente
dans le peloton de tête mondial des départements de mathématiques
1. Algorithmes : la bombe à retardement, Les Arènes, Paris, 2018.

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