Clefs - Une société de communication ? - 6e - 72

Le mythe « Société de communication »

scotchés à leurs studios vise à classer-stigmatiser à coups de populisme, de radicalisation, et non à chercher à saisir les causes et le sens
vécu d'actions dérangeantes. Toute réalité complexe est ramenée à
des choix binaires. Le discours de la transparence participe enfin à
l'illusion communicationnelle qui pense tous les discours, toutes les
images comme performatives : dire c'est faire, montrer c'est agir. Si
les gros plans du cadavre du petit syrien Aylan Kurdi, nez dans le
sable d'une plage turque, ont suscité une parenthèse de compassion
et d'aide aux migrants fuyant la guerre, quels effets pratiques ont
réellement eu tant de reportages sur la boucherie syrienne, le calvaire
des femmes congolaises violées en masse, ou plus près de nous le sort
des SDF ou des travailleurs pauvres ?

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Une observation empirique permet pareillement de relativiser les
perspectives offertes par les projets de démocratie électronique. Dans
les initiatives de la première génération, à tonalité référendaire, les
taux de participation ont rarement dépassé 35 %, et ce souvent au prix
de coûteuses campagnes de mobilisation. Les prothèses électroniques
ne brisent pas les mécanismes sociaux de familiarité différentielle à
la politique selon les niveaux d'éducation, les parcours de socialisation. Elles ne peuvent à elles seules faire disparaître l'existence
d'un « cens caché »1, démultiplier le public intéressé aux débats
politiques. L'analyse des sondages peut justifier des observations
comparables. Aussi longtemps que la définition des questions dignes
de consultation restera déterminée par un cercle socialement fermé
de commanditaires, que les impératifs de traitement rapide et peu
coûteux de l'information collectée contraindront à procéder par le
biais de questions exclusivement fermées, le risque sera grand de
collecter des artefacts, de présenter comme étant les questions « que
se posent les Français », celles que posent ceux qui détiennent le
pouvoir d'interroger les Français. Les travaux de Daniel Gaxie sont
venus illustrer combien des mots du langage politique en apparence
évidents pour journalistes politiques ou titulaires de Bac +5 étaient
en fait incompris ou ignorés d'une majorité des citoyens. Le sondage
d'opinion, la mesure des tendances sur les réseaux sociaux, peuvent
être le support d'utiles démarches de perception des représentations
et des malaises sociaux. En faire la quintessence de la démocratie
entre deux élections, tout en les cantonnant à leurs usages les plus
pauvres et les plus plébiscitaires (cocher une case dans une question
fermée, dire oui ou non) est un discours qui renseigne surtout sur la
vision de la démocratie que se font ses promoteurs. Ce qui s'est dit
1. D. Gaxie, Seuil, 2000.
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