Clefs - Une société de communication ? - 6e - 74

Le mythe « Société de communication »

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d'une autre société, sans pouvoir faire jouer un pluralisme culturel
fort, ni donner place à des créations et des œuvres issues de son
propre espace-temps.
Au seuil des années 1980 s'était développé à l'Unesco un vif débat
sur ce qu'on nommait alors le « Nouvel ordre mondial de l'information
et de la communication » (NOMIC). Brouillée par la participation à ce
discours critique de nombreux États au casier judiciaire antidémocratique chargé, la réflexion sur le NOMIC questionnait pourtant, chiffres
et faits en mains, la prodigieuse asymétrie de circulation des flux
d'informations et de biens culturels entre Nord et Sud. Quarante ans
plus tard la place toujours centrale des États-Unis ressort assez bien
du fait que les GAFAM en sont tous originaires, ou dans les succès de
producteurs-diffuseurs culturels comme HBO ou Netflix. Mais ne faire
que ce constat serait passer à côté de trois autres éléments importants.
Le premier est de souligner, comme l'a fait avec beaucoup de données
factuelles Kai Hafez1, à quel point la vision d'une « mondialisation »
des médias sous tutelle américaine ou occidentale est réductrice. Pour
des raisons linguistiques, culturelles, tout simplement par l'absence
des réseaux ou des récepteurs ou à cause de la censure, une majorité
de la population mondiale n'a pas accès aux chaînes d'information
internationales, simplement à un Internet ouvert. La crédibilité des
chaînes d'information est aussi tributaire de données politiques et
culturelles : au Proche-Orient le taux de confiance du public est de
60 % pour Al Jazeera, 10 % pour CNN. Le second serait de se souvenir
que le global est souvent un empilement de nationaux : les « mêmes »
Jeux olympiques donnent lieu à des couvertures très divergentes selon
les disciplines où les champions nationaux peuvent l'emporter. Enfin,
domination n'est pas monopole et les lieux de production cinématographique, les foyers de circulation de séries ou de musiques partent
aussi de Bombay (Bollywood), de Lagos au Nigéria (Nollywood),
des télénovelas Brésiliennes ou Mexicaines, demain de joint-ventures
entre des entreprises culturelles chinoises et africaines.
La société de communication peut encore se lire comme une économie-monde où l'abaissement du coût des transports et la concentration
des ressources informationnelles et organisationnelles suscitent un
processus mondial de délocalisation de la classe ouvrière et des activités de production demandant une faible qualification. Elle relie à
coups de réseaux informatiques les univers de bureaux et les états-majors industriels du Nord, aux ateliers et unités de production du Sud,
1. The Myth of Media Globalization, Polity Press, 2007.
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