Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 153 - Les normes de concrétisation dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel - 161

LA NORME DE CONCRÉTISATION COMME OUTIL DE SÉCURITÉ JURIDIQUE

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Une fois encore, il est fait mention expresse de la norme de concrétisation
élaborée par le juge constitutionnel au regard du principe d'égalité. En usant de
cet outil, le ministre entendait démontrer l'incompatibilité des dispositions proposées à la Constitution.
Enfin, la norme de concrétisation est parfois un moyen de justifier l'opposition du Gouvernement à un amendement. Ce fut par exemple le cas lorsque le
Secrétaire d'État au Budget auprès du ministre des Finances et des Comptes
publics a donné un avis défavorable à l'amendement n° 284 du député Gilles
Lurton sur le projet de loi de finances rectificative pour 201535. Il précisait alors
que « le Conseil constitutionnel a toujours estimé que le législateur doit, pour assurer le respect du principe d'égalité, se fonder sur des critères objectifs et rationnels
en fonction des buts qu'il se propose. Son appréciation ne doit donc pas entraîner de
rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Or le critère d'éligibilité à l'état de catastrophe naturelle ici proposé ne nous paraît pas indiscutable au
regard des différentes jurisprudences du Conseil constitutionnel, si bien que cette
mesure pourrait être déclarée inconstitutionnelle »36. Le Secrétaire d'État reprend
alors la norme de concrétisation relative au principe d'égalité devant les charges
publiques. L'intérêt de cette norme est ici prégnant car le Secrétaire d'État compare le critère posé par l'amendement parlementaire au regard des exigences de la
norme de concrétisation pour considérer qu'il n'y répond pas. Sans la norme de
concrétisation, il n'aurait pu qu'affirmer qu'il considérait l'amendement comme
instituant une disposition contraire au principe d'égalité ; il n'aurait disposé d'aucun argument précis à opposer au parlementaire pour appuyer son opinion sur la
contrariété à la Constitution de l'amendement.
La norme de concrétisation a donc plusieurs intérêts pour le Gouvernement. Outre le fait qu'elle lui permet d'élaborer des projets de loi au plus près des
exigences constitutionnelles afin d'éviter les risques de censure, elle constitue un
outil de justification des argumentations du Gouvernement. En d'autres termes,
user des normes de concrétisation dans son discours juridique lors des débats parlementaires est un moyen à la fois de démontrer avec précision le bien-fondé juridique des mesures qu'il compte prendre, et de remettre en cause des initiatives
parlementaires auxquelles il s'oppose, mais avec des arguments juridiques précis
ayant pour dessein de convaincre les parlementaires. Ainsi donc, si la mobilisation
des normes de concrétisation par le Gouvernement n'est pas systématique, ces
normes constituent des outils d'aide véritables. Corrélativement, les parlementaires s'appuient sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans leur mission
législative, en prenant tout spécialement en compte les normes de concrétisation
que celui-ci dégage.
B. LA PRISE EN COMPTE DE LA NORME DE CONCRÉTISATION
PAR LES PARLEMENTAIRES
165. Depuis de très nombreuses années désormais, le Parlement prête une
attention très minutieuse à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Dans ce
cadre, la norme de concrétisation constitue pour lui un outil non négligeable dans
35. Projet de loi n° 3217 de finances rectificative pour 2015, adopté par le Parlement, aujourd'hui
loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.
36. Chr. Eckert, Compte rendu intégral des débats, Assemblée nationale, deuxième séance du
lundi 30 novembre 2015.

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