Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 153 - Les normes de concrétisation dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel - 215

LA QUALITÉ DE LA NORME DE CONCRÉTISATION COMME NORME JURIDIQUE

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En revanche, en envisageant l'habilitation étatique pour déterminer la qualification juridique des normes, il apparaît que le juge constitutionnel est habilité à
créer des normes juridiques. Toutefois, cette habilitation reste limitée et il est
nécessaire de s'interroger sur la place des normes de concrétisation dans le cadre
de la compétence de création normative du Conseil constitutionnel (B).
A. LES CARACTÉRISTIQUES DES NORMES
DE CONCRÉTISATION NON CONSTITUTIVES
DE LEUR QUALITÉ DE NORME JURIDIQUE
230. Si une sanction en cas de non-respect d'une norme de concrétisation (1) et
l'effectivité de ces normes (2) peuvent parfois être constatées, ces éléments ne peuvent
toutefois pas permettre la détermination de leur qualité de norme juridique.
1. L'exclusion d'une nécessaire sanction du non-respect de la norme
231. Pendant longtemps a été considéré comme caractéristique de la présence d'une norme juridique le fait qu'une sanction corresponde au non-respect
d'un énoncé par son destinataire35. Le terme de sanction renvoie alors à l'idée de
contrainte. Selon M. François Brunet, « la place accordée à la contrainte est le
plus souvent le résultat d'une conception du droit centrée sur la sanction, elle-même
définie comme contrainte »36. Pourtant, M. Paul Amselek explique que « les
normes juridiques, et plus généralement les normes éthiques, utilisent sans exclusive
les trois degrés de l'échelle du possible, les degrés extrêmes de l'obligation de faire ou
de ne pas faire (sans, au demeurant, que les obligations fixées soient systématiquement et immanquablement accompagnées de sanctions), mais aussi le degré intermédiaire de la permission ou droit de faire ou de ne pas faire »37. Ainsi, la présence
d'une sanction associée au non-respect d'une norme est indifférente à sa qualité
de norme juridique. En réalité, la sanction est une conséquence de la juridicité
d'une norme mais n'en est pas un critère de définition. Ce n'est donc pas parce
qu'il y a sanction, qu'il y a norme, mais au contraire parce qu'il y a norme qu'il
peut y avoir une sanction.
232. Si les normes de concrétisation sont automatiquement associées à une
sanction lorsque le juge constitutionnel indique au législateur de quelle manière
se comporter pour qu'une disposition législative soit en conformité à la norme de
référence qui y est associée, sous peine de censure ou d'une réserve d'interprétation, il en va différemment lorsque le juge se donne lui-même un mode d'emploi
pour respecter sa compétence. En effet, aucune sanction n'est directement associée au non-respect par le juge constitutionnel des normes qu'il s'est lui-même
fixé. Ainsi, la modification d'une norme de concrétisation, par le juge constitutionnel38, peut apparaître comme le non-respect de cette dernière. Une illustration
tient particulièrement dans l'évolution des critères de découverte des principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République, notamment par la décision
n° 2013-669 DC du 17 mai 2013 relative à la loi ouvrant le mariage aux couples
35. Cf., notamment, H. Kelsen, Théorie pure du Droit, trad. Ch. Eisenmann, Bruylant, LGDJ,
coll. La pensée juridique, 1999, p. 41.
36. Fr. Brunet, La normativité en droit, Éd. Mare & Martin, 2012, p. 185.
37. P. Amselek, « Autopsie de la contrainte associée aux normes juridiques », in C. Thibierge et
alii, La force normative. Naissance d'un concept, Lextenso éditions, Bruylant, 2009, p. 6 (nous
soulignons).
38. Sur l'adaptabilité des normes de concrétisation, cf. Première partie, Titre II, Chapitre 1.

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