Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 153 - Les normes de concrétisation dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel - 298

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LES NORMES DE CONCRÉTISATION DANS LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

pas contesté que ces normes de référence imposent la norme de concrétisation. Ce
lien de subordination entre les deux types de normes a été démontré65 et se vérifie,
là encore. Toutefois, M. Pierre de Montalivet semble soutenir que la norme de
concrétisation fait partie du contenu de la norme de référence. Il est alors nécessaire de clarifier ce qu'est le contenu de la norme dans la mesure où il a été expliqué que la norme de concrétisation n'était pas une signification de la norme de
référence mais en était un mode d'emploi. Ainsi, la norme de référence renferme
un mode d'emploi que le juge constitutionnel met en avant par son pouvoir d'interprétation, en élaborant une norme de concrétisation. Le contenu d'une norme
est alors distinct de la signification de celle-ci en ce qu'il est plus large parce qu'il
contient à la fois la signification de la norme mais également le mode d'emploi qui
en découle. Mais la norme de concrétisation étant le fruit d'une interprétation de
la norme de référence par le juge constitutionnel, il apparaît logique que son origine soit contenue dans cette norme de référence, sans quoi il ne serait pas question d'interprétation, même constructive, mais de création ex nihilo. L'objectif de
valeur constitutionnelle est lui-même issu de l'interprétation du juge constitutionnel. Il s'agit, selon M. Pierre de Montalivet, d'une « norme constitutionnelle
impliquée par plusieurs dispositions constitutionnelles. Par conséquent (...) c'est
une norme implicitement écrite, puisque rattachée à un texte. L'objectif n'est donc
pas créé par le Conseil constitutionnel mais est le fruit de son interprétation de la
Constitution. Cette interprétation est certes constructive, mais elle garantit une certaine légitimité de l'objectif. Les fondements textuels de l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi constituent autant de justifications théoriques de son existence, dans
la mesure où ils contribuent à la protection des droits et libertés »66. Cela démontre
bien l'existence de deux types d'interprétation : celle qui mène d'une ou de plusieurs dispositions écrites à une norme de référence, et celle qui fait découler une
norme de concrétisation d'une norme de référence, écrite ou non écrite.
316. Cette méthode n'est pas utilisée uniquement par le juge constitutionnel
français. L'exigence de clarté de la loi, au sens large du terme, est également
requise par d'autres juges : le juge européen des droits de l'homme et le juge de
l'Union européenne. Dans son arrêt Sunday Times c. Royaume-Uni du 26 avril
1979, la Cour européenne des droits de l'homme a notamment exprimé la nécessité d'accessibilité et de précision de la loi en ces termes :
« Il faut (...) que la "loi" soit suffisamment accessible : le citoyen doit pouvoir disposer de renseignements suffisants, dans les circonstances de la cause, sur
les normes juridiques applicables à un cas donné. En second lieu, on ne peut considérer comme une "loi" qu'une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite ; en s'entourant au besoin de conseils
éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d'un acte déterminé »67.
À côté de l'exigence selon laquelle un citoyen doit pouvoir avoir accès aisément
aux normes qui lui sont applicables, figure donc l'impératif de précision des lois,
sans quoi les textes ne peuvent pas même être qualifiés de loi. En effet, le juge européen explique qu'une norme qui n'est pas « énoncée avec assez de précision pour
permettre au citoyen de régler sa conduite » ne peut être « considér [ée] comme une
65. Cf. supra Deuxième Partie, Titre I, Chapitre 2, Section 1, § 1, A.
66. P. de Montalivet, Les objectifs de valeur constitutionnelle, Dalloz, 2006, p. 88.
67. Cour EDH, Plén., 26 avril 1979, Sunday Times c. Royaume-Uni, req. n° 6538/74, § 49.

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