Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 153 - Les normes de concrétisation dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel - 328

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LES NORMES DE CONCRÉTISATION DANS LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

SECTION 1
UNE NORME DE CONCRÉTISATION COMME LIMITE
AU POUVOIR DU JUGE CONSTITUTIONNEL
347. Le juge constitutionnel français a adopté, en 1975, une norme de
concrétisation découlant de l'article 61 de la Constitution. Cette norme de concrétisation lui impose de ne pas substituer son appréciation à celle du législateur, car
il ne dispose pas d'un même pouvoir d'appréciation et de décision (§ 1). Cette
règle, que le juge constitutionnel s'impose à lui-même, est partagée par un certain
nombre de juges constitutionnels étrangers, qui optent pour des modalités d'expression similaires (§ 2).

§ 1. L'ORIGINE DE LA NORME DE CONCRÉTISATION
EN CONTENTIEUX CONSTITUTIONNEL FRANÇAIS

348. La lecture des délibérations du Conseil constitutionnel est riche d'enseignements. Elle permet de mieux appréhender les raisons de l'apparition, dans
certaines décisions, de considérants de principe. Le cas de la décision relative à
l'interruption volontaire de grossesse est particulièrement significatif. Une partie
suffisante de la majorité parlementaire de l'époque, farouchement opposée à la loi
autorisant l'avortement, a saisi le Conseil constitutionnel au moyen de la nouvelle
procédure prévue depuis la réforme constitutionnelle de 1974. François Goguel
a alors été chargé de rapporter sur ce texte. Dans son rapport9, l'ancien Secrétaire
général du Sénat explique que, d'un point de vue personnel, et pour diverses
considérations, il est opposé à cette loi. Pourtant, « le gardien de la rigueur juridique du Conseil constitutionnel »10, a appelé à une déclaration de conformité de la
loi à la Constitution. Le compte rendu de la délibération dévoile alors que :
« M. le président [Roger Frey] se déclare très sensible aux réflexions
d'ordre personnel développées par M. Goguel à la fin de son rapport mais à
partir de là croit devoir rappeler l'idée d'ordre général qui fait l'objet du premier
considérant du projet de décision ainsi conçu :
« "Considérant que l'article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil
constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision identique à
celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur
la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen ;"
« Il semble en effet très utile de préciser dès le début de la décision que les
responsabilités du Conseil constitutionnel ne se confondent pas avec celles du
législateur »11.
9. B. Mathieu, J.-P. Machelon, F. Mélin-Soucramanien, D. Rousseau et X. Philippe (dir.),
Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel 1958-1986, Dalloz, 2e éd., 2014, pp. 266 à 274.
10. D. Rousseau, P.-Y. Gahdoun et J. Bonnet, in B. Mathieu, J.-P. Machelon, F. MélinSoucramanien, D. Rousseau et X. Philippe (dir.), Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel
1958-1986, Dalloz, 2e éd., 2014, p. 229.
11. B. Mathieu, J.-P. Machelon, F. Mélin-Soucramanien, D. Rousseau et X. Philippe (dir.),
Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel 1958-1986, Dalloz, 2e éd., 2014, p. 274. Il apparaît
donc que le considérant de principe figurait dans le projet de décision rédigé par le rapporteur avant
la séance de délibération. Ce n'est donc pas une « création » issue des séances.

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