Revue Droit & Littérature - N°4-2020 - 119

Le thème
Houellebecq », si son dernier roman le montre intéressé par les effets de la libre circulation des
marchandises et la mondialisation, les propos de l'auteur de Sérotonine ne se démarquent pas de ceux
d'un citoyen éclairé11. Ce qui singularise à l'inverse Gary et Muray, et qui justifie alors une analyse
commune de leurs écrits, est qu'ils rattachent immédiatement leur observation de la réalisation européenne à leur démarche littéraire profonde. L'Éducation européenne, Tulipe, Europa bien sûr, mais aussi
quelques passages de La nuit sera calme sont les textes qui attestent d'une réflexion littéraire de Romain
Gary à propos de l'Europe, son idée, son histoire, sa philosophie, son absence, ses plaies, mais aussi
sa première incarnation dans les Communautés européennes. Chez Muray, l'intérêt pour l'Europe
se retrouve de la même manière dans ses écrits, à la fois comme culture, mais aussi dans le récit de
différentes étapes de sa réalisation surtout à partir du Traité de Maastricht. Gary et Muray sont les
témoins littéraires, fascinés et fascinants, de diverses étapes de l'histoire de l'Europe réalisée.
La troisième raison tient à ce que lus ensemble, ils enrichissent la réflexion du juriste qui ne se sent
pas tenu d'applaudir à tout rompre à ce qui se réalise en Europe au nom du droit et par lui. Pour
le juriste critique en somme, mais on le souhaiterait pour tout juriste honnête, Gary et Muray sont
des auteurs qui devraient être incontournables. Ils permettent d'accéder, par la littérature, à une
certaine forme de connaissance européenne. Ce sont de puissants stimulants pour l'esprit juridique.
Contre le dressage européen (I), pour la littérature européenne (II), les lire est aussi précieux
que salvateur.

I. Contre le dressage européen
En 1945, Romain Gary publie L'Éducation européenne. Le titre est trompeur. Le roman d'apprentissage a le goût amer de millions de morts. C'est au nom de, et contre cette initiation mortifère, que les Communautés européennes puis l'Union européenne ont prétendu se construire.
L'administration bruxelloise ainsi que les représentants politiques des États membres répètent
que la paix relative qui tranquillise depuis plusieurs décennies le marché intérieur, et ses acteurs
économiques, l'espace de liberté, de sécurité et de justice, et ses citoyens européens, trouve
ses racines les plus fortes dans l'Europe-réalisée. L'affirmation mériterait pourtant une analyse
plus approfondie. Serait-elle partiellement fondée, que l'exigence critique se dresserait toujours.
En tout état de cause, il nous semble que la relation entre l'Europe et l'Union européenne
telle qu'elle se dessine depuis le départ repose sur un biais. L'idée européenne a été subtilisée
manière dans l'ensemble du monde occidental. Mais, à l'intérieur du monde occidental, l'Europe a choisi un mode de suicide particulier, qui inclut le fait d'assassiner les nations qui la composent » (ibid.). En anglais comme en français, Houellebecq n'est pas tendre
à l'égard de l'Union européenne (M. Houellebecq, Harper's Magazine, janvier 2019, https://harpers.org/archive/2019/01/donaldtrump-is-a-good-president/).
11. Voir dans ce numéro de la RDL, Th. Fleury Graff, « Une fiction. L'Europe chez Houellebecq », p. 101 et s.
Dans son dernier roman, Sérotonine, M. Houellebecq ayant évoqué en des termes techniques la concurrence faite aux abricots du
Roussillon par ceux d'Amérique du Sud et les quotas laitiers, il s'est trouvé un journaliste consciencieux pour aller vérifier son propos
et lui reprocher d'avoir « (presque) tout faux » (Voir E. Berretta, https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-berretta/sur-l-europemichel-houellebecq-a-presque-tout-faux-09‑01‑2019‑2284278_1897.php).

Droit & Littérature - Numéro 4

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17/06/2020 17:31:23

https://www.harpers.org/archive/2019/01/donald https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-berretta/sur-l-europe

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